Spéculer sur la malédiction
Contrairement à des représentations tenaces il n’y a pas de malédictions des matières premières. Comme j’étais amené à le rappeler récemment dans l’émission « Eco d’ici Eco d’ailleurs » pour chaque Venezuela il y a une Norvège, pour chaque République Démocratique du Congo il y a un Chili ; le pétrole ou le cuivre qui y sont produits sont quasiment les mêmes, leurs prix internationaux respectifs qui régissent leurs échange sont identiques et pourtant des pays réussissent mieux que d’autres. C’est donc qu’à la suite d’un retournement de marché, invoquer une malédiction des matières premières pour expliquer un marasme local est une erreur, il existe également des marasmes sans matières premières…. Lorsque sont révélés leurs dépenses immédiates voire abusives, la réalité est celle de dirigeants successifs non désireux de rentabiliser pour les générations futures les mannes énergétiques, métallurgiques ou agricoles ; les matières premières n’y sont donc pour rien. Réalité et théorie académique divorcent, « la malédiction des matières premières » est une aimable excuse cachant d’autres malédictions politiques. Comme indiqué au cours de cette même émission : il faut du courage. Effectivement, c’est une denrée inégalement distribuée pour combattre une malédiction !
À l’ombre de cette affirmation, regardons à la moitié de l’année 2016
les résultats de deux métaux, nickel et zinc, qui étaient annoncés
performants en début d’année.
L’idiosyncrasie du nickel est dominée par l’offre, par les stocks et
par les conséquences des excès passés. Dans l’instant, le nickel a
abandonné l’idée d’importantes réductions volontaires de production et
aucune mine épuisée n’est contrainte de fermer ses portes. En outre,
c’est parfois sous le fardeau de prêts aux taux d’intérêts si étonnants
qu’ils en deviennent médiatiques que l’on se projette dans l’incertain.
Échanger la transformation ou la recapitalisation d’une entreprise pour
la spirale de la dette, c’est du temps politique qui achète du temps
économique, c’est rarement efficace et reste une survie plutôt qu’une
renaissance.
Côté demande, comme nous l’annoncions ici même il y a 4 ans « l’acier
n’a plus peur du nickel », les aciéries qui ont renoncé à porter de
grands stocks de minerai de fer ont également abandonné la stratégie de
grands stocks de nickel. Le marché du LME, mais surtout celui de
Shanghai et d’autres plus secrets exécutent très bien ce travail. Au
total entre magasins transparents et opaques un stock égal à près de 50%
de la demande mondiale de nickel attend d’être consommé.
Faudra-t-il attendre 15 à 20 ans pour retrouver une situation assainie ?
La consommation actuelle est en trompe-l’œil : Lorsque ces stocks de
nickel baissent ce sont ceux d’aciers qui augmentent ; lorsque la Chine
produit plus d’acier la production d’autres aciéristes baisse car 60% de
ces exportations sont dirigés vers l’Asie du Sud, l’Afrique, le Moyen
Orient…, 6% vers l’Europe et deux fois moins vers les États-Unis dont
les droits de douane passent pourtant à 500% pour certains aciers
chinois. Et ce constat ne tient pas compte de nouvelles aciéries
chinoises off-shore proches de mines, par exemple en Indonésie.
L’aciérie doit-elle être intégrée à la mine ou la mine à l’aciérie,
c’est le débat d’une verticalisation off-shore qui doit-être arbitré par
la disponibilité en énergie.
En conséquence l’analyste est perdu car les prix du nickel
progressaient d’un insuffisant 9% entre la mi-janvier et la mi-juin
2016. Mais en Chine le prix du minerai de nickel pour le NPI baissait
entre 40 et 45% entre le premier trimestre 2015 et le premier trimestre
2016. Pourquoi y exporter autant ?
À l’inverse du nickel, la production de zinc est remarquablement
fragmentée. La Chine est le premier producteur mondial puis viennent les
Amériques du Sud et du Nord, l’Asie du Sud Est, l’Europe, l’Australie…
Autres contrastes, les dix premières sociétés minières produisent à
peine 25% de l’offre mondiale ; le rôle des affineurs est essentiel
pour amortir les chocs entre les mines et les marchés et les
exportations de minerai de zinc vers la Chine sont en baisse constante ;
les recettes des sous-produits du minerai de zinc sont importantes. Des
mines de zinc épuisées ont été fermées en 2015 et une discipline règne :
la réduction volontaire de production, telle celle de 500KT décidée par
le leader mondial, Glencore. En compensé, la baisse de la production
minière est de l’ordre de 4% en 2016 ; les stocks de métaux disponibles
sont peu élevés, 3-5 semaines de consommation mondiale entre le LME et
Shanghai ; les prévisions de déséquilibre des fondamentaux en faveur
d’un déficit est de l’ordre de 3% pour les années à venir.
L’offre est assainie et la demande est dynamique. Près de 60 % de la
demande de zinc est en Chine et plus de 50% concernent l’habitat et les
infrastructures. Le premier secteur reste stable tandis que l’acier
galvanisé consommé par le second est particulièrement favorisé par le
soutien du gouvernement chinois à ses territoires. En Europe l’industrie
automobile confirme également une demande confortable. En conséquence,
confortant l’analyste, entre la mi-janvier et la mi-juin 2016 les prix
du zinc progressaient de 43%.
À ma connaissance il n’existe pas de pays dans lesquels la production de zinc soit si prépondérante pour l’économie locale qu’un effondrement des prix risque d’engendrer un marasme économique généralisé, pas d’île d’Atlantique ou du Pacifique qui soit dépendante voire sous la servitude des prix du zinc, il y a absence de discussion stérile sur la localisation d’usines off-shore produisant du zinc, nul débat sur les exportations de minerais de zinc, nul débat sur la destination de ces exportations, aucun expert zinc bureaucratique, pas d’embargo sur le zinc, pas de fonds souverain zinc, pas de malédiction du zinc, … Contrer une malédiction pour secourir l’industrie, autant de raisons et d’autres qui symétriquement au zinc justifient par endroit, ici ou là, du courage et une Doctrine Nickel.