In Les Échos, le 06 06 2018
Après avoir été centrale à l’OCDE à Paris en avril, puis en mai à la conférence du KBM de Lubumbashi et à l’Alternative Indaba de Kolwezi, la question du cobalt artisanal sera au cœur des réponses des Journées Minières de Kolwezi en septembre 2018.
12 années d’efforts et de concertations auront été nécessaires pour considérablement améliorer la situation dans l’est de la RDC. Les industriels présents à l’OCDE au 12e forum sur la chaîne d’approvisionnement en minerais responsables en témoignaient. Selon eux, contrairement aux idées reçues, dans les provinces d’Ituri, Nord Kivu, Sud Kivu et Maniema la sécurité des mines de tungstène, d’étain et le tantale s’est considérablement améliorées. C’est également le cas des mines d’or industrielles telles Banro, Kibali Gold et prochainement Alphamin. Il est aussi possible de répertorier de nombreuses mines artisanales d’or « vertes », c’est-à-dire sans conflit armé. Certes, tout n’est pas parfait, mais les progrès sont là. Et la situation sera optimale dès que la contrebande d’or vers l’Ouganda et le Rwanda sera asséchée, 20 tonnes d’or sont illégalement exportées de RDC vers ces deux pays, elles alimentent tous les trafics. Cependant, avec un peu d’intelligence économique une solution technique est à portée de main via la construction d’une fonderie d’or nationale au Kivu. Le problème de l’or artisanal deviendra ainsi une opportunité ; au lieu de partir vers Dubaï, le métal jaune approvisionnera une industrie bijoutière locale qui ne demande qu’à se développer.
Face à cette décrue des difficultés dans l’est de la RDC, l’OCDE bruissait de conversations sur le devoir de vigilance autour du cobalt. De nombreux éléments contradictoires furent échangés à propos du travail d’enfants dans les mines artisanales de cobalt et de la nécessité impérieuse de sa traçabilité. Il fallait vérifier sur place.
La RDC a une superficie égale à 4,25 fois celle de la France métropolitaine ; la province du Lualaba c’est 4 fois la Belgique ; ensemble, les provinces du Lualaba et du Haut-Katanga c’est plus de la moitié de la France et plus de huit fois la Belgique. Le pays abrite 60 ethnies, 400 dialectes, c’est le plus grand pays francophone au monde et Kinshasa est la plus grande ville francophone devant Paris.
S’immerger dans le cobalt des deux provinces du Lualaba et du Haut Katanga c’est rouler sur les célèbres 280 km des routes nationales N° 1 et N° 39 reliant Lubumbashi à Kolwezi. De part et d’autre de la chaussée, le cobalt y est exploité depuis des décennies, 65 % de la production mondiale vient de cette région en coproduit du cuivre. L’enjeu géologique est majeur, la zone est l’équivalent du complexe magmatique du Bushveld en Afrique du Sud pour les platinoïdes.
Les mines industrielles produisent 80 % du cobalt congolais. Seule la présence des employés est permise, celle des enfants y est naturellement interdite. Mais ces concessions minières sont impressionnantes. La mine de TFM est l’équivalent d’un carré de 50 km sur 32 km ; plus de 1600 km² de collines situées entre 1000 mètres et 1400 mètres et parsemées de villages. Une sécurité minière est sur place et les différentes entrées et sorties sont contrôlées. Il est difficile de maîtriser cette immense surface et l’exploitation illégale si elle survient sera rapidement décelée. Elle sera un souci non pas par ses volumes qui resteront minimes, mais par les trafics qu’elle engendrera.
Les mines artisanales produisent 20 % du cobalt congolais et l’on distingue l’exploitation et le négoce de minerais.
L’exploitation minière artisanale n’est ni cachée ni dissimulée, bien au contraire. Située au vu et au su de tout le monde, elle est réservée aux creuseurs agréés dans des concessions répertoriées. Dans ces mines, les enfants et les femmes vulnérables sont interdits, depuis toujours l’administration veillent à les repousser des sites.
Cependant, un problème survient lorsque des concessions industrielles ont été désertées par les mineurs. Certaines sont en brousse ou bien en périphérie urbaine. Mais si la ville s’agrandit, la mine est en ville. À Kolwezi la concession Gécamines de Kasulo a été abandonnée. Elle est devenue le quartier de Kasulo au centre-ville. Des habitations s’y sont construites, des routes ont été tracées et depuis la flambée du cobalt des creuseurs clandestins s’y étaient installés. Ils ont creusé sous les jardins, les maisons et les routes. Là encore, les enfants ne devaient pas y travailler, mais creuser « en famille » était d’autant plus facile que l’on creusait sous son domicile… Toutefois, ces zones sont devenues un capharnaüm minier, les fondations d’habitations et de routes ont été fragilisées, elles se sont effondrées. Le sous-sol est un gruyère, la sécurité des biens et des personnes rencontre des problèmes omniprésents. C’est pourquoi les autorités relogent les habitants. Ces derniers ont le choix d’une maison neuve dans le quartier de Samukinda ou bien du paiement d’une somme égale à 150 % de la valeur de l’ancienne habitation. Une autre zone, celui de Tsipuki, concession Gécamines & Ledia, sera traitée de la même manière pour les mêmes raisons. Une fois le déménagement terminé, la province reprendra la main sur la zone afin d’assurer une exploitation minière transparente.
Le second aspect de l’artisanat minier est la vente du minerai. Des centres de négoce privés réglementaires construits à proximité des mines artisanales permettent à l’artisan de céder sa production. Mais il est parfois victime, des dépôts illégaux qui ne payent pas le prix : les poids des sacs de minerais tout comme la teneur en cobalt y sont la source de falsifications. C’est un bazar, et y mettre de l’ordre nécessite une forte volonté politique.
Justement, le 31 mai 2018 le nouveau gouverneur de la province du Lualaba se déplaçait de Kolwezi vers un nouveau site de négociants illégaux situé à proximité du village de Kisanfu. Au milieu d’une foule, il signifiait aux fraudeurs qu’ils avaient 48 heures pour fermer leur commerce. Ces opérations coup de poing s’amplifieront probablement dans les mois à venir. En effet, tous ces commerces, légaux ou illégaux, fermeront pour être remplacés par deux immenses centres officiels de négoce industriel. Le premier est en construction en périphérie du village de Kisanfu et l’autre sera situé à Kolwezi dans le quartier de Musompo. Chacun sera équipé de balances agrées pour réellement vérifier le poids (sans sous-évaluation), de laboratoire d’analyse pour certifier la teneur des minerais (sans escroquerie), d’un guichet unique dans le but de notamment connaître la véritable identité des propriétaires des entreprises de négoce (sans fraude fiscale), et enfin de banques pour que les creuseurs puissent paisiblement se constituer une épargne. Si aucune filière clandestine ne parasite le mécanisme, ces deux centres de négoce seront l’introduction d’une future bourse commerciale du cobalt dans le pays. Tout comme la fonderie d’or du Kivu, ce sont des étapes indispensables à une souveraineté métallico-financière.
La mise en ordre de cette production artisanale de cobalt est positive et déjà en route. Il faut espérer que rien ne l’enraillera.
Et pourtant les réunions « cobalt artisanal » furent nombreuses à l’OCDE en avril 2018. Pour quelle raison reste en mémoire cette sensation d’une brusque montée en puissance des ONG internationales contre ces mines artisanales ? Les associations humanitaires auraient-elles déplacé leur intérêt du tungstène et du tantale de Goma vers le cobalt de Lubumbashi et Kolwezi situé 1500km plus au sud ? 1500 km c’est une distance équivalente à un déménagement de Bruxelles à Valence en Espagne et le climat en Belgique est différent de celui de la Costa Azahar. Dans l’ex-Zaïre c’est un peu la même chose. À la différence de la région des Grands Lacs, dans le cobalt les bandes armées, la violence et la contrebande n’ont jamais fait partie du paysage et Dostoïevski nous a enseigné l’effet de ce type de réforme : « Voilà ce que c’est que des réformes sur un terrain non préparé et par surcroît copiées sur les institutions des autres, c’est pur préjudice. » Dans ce cas, faut-il rechercher la cause de cette migration des ONG dans le prix du cobalt ?
De 24 000 $ la tonne au 1er janvier 2016, il augmentait à 95 000 $ la tonne récemment. Multiplié par 4, il a placé le Lualaba et le Haut-Katanga au centre de l’univers du marché des batteries. L’argent attirant l’argent, est-il plus lucratif de provoquer une surenchère « cobalt artisanal » puis de généraliser son devoir de diligence plutôt que de continuer à auditer celui que le tungstène, l’or ou le tantale ? Un tel scénario d’influence-accusation-remédiation-rédemption est-il imaginable : condamner les 20 % du cobalt artisanal, exiger la traçabilité de 100 % de la production (artisanale et industrielle) et remporter la manne financière dépensée pour le devoir de diligence ?
L’ensemble alourdi le coût de la filière artisanale, en réaction une initiative régionale nommée « touche pas à mon cobalt » réprouve les surcoûts de traçabilité imposés aux creuseurs. Elle s’interroge, qui gérera la déstabilisation ainsi créée lorsqu’ils feront face à des prix du cobalt en baisse ? En effet, après un cycle de nouvelles productions, substitution et reconception-prix, n’irons-nous pas d’ici à 12 mois vers cette contraction des cours ?
En conclusion, environ 92 % du cobalt consommé dans le monde est d’origine industrielle sans enfant dans les mines. Seuls 8 % sont de provenance artisanale congolaise avec les risques et améliorations décrites ci-dessus. Comme ce fut le cas à l’Alternative Indaba en mai, il faut craindre une opposition croissante entre mines artisanales et objectifs d’ONG internationales. A contrario, les humanitaires locaux, éloignés du « charity business », sans ressources financières régulières, sans frais de structures, sans siège social, apportent de solutions visibles par tous. Les progrès viennent des petits et à Lubumbashi regardons Bumi ou Malaika qui s’occupent des enfants, à Kolwezi voyons AFECA (afeca2009@gmail.com) qui donne aux femmes du travail en contenu local.
Ultimo, les grandes ONG pourraient-elles s’interroger sur le cobalt acheté et physiquement stocké par des fonds d’investissement. Son origine est-elle connue, est-elle « verte », cette spéculation répond-elle au devoir de diligence ?
Autant de questions qui seront débattues en septembre prochain aux Journées Minières de Kolwezi.