EDF a-t-elle le droit de faire du profit en France ? C’est ce qu’on peut se demander à la lecture du projet de loi sur la Nouvelle Organisation du Marché de L’Électricité, la loi NOME, soumis à la représentation nationale par le gouvernement pour mettre un terme au contentieux avec la Commission Européenne sur les tarifs de l’électricité.
Cette énergie est-elle une matière première comme les autres ? Si la loi NOME, encore en discussion, était appliquée à une entreprise minière en position de monopole et productrice par exemple d’uranium, de nickel, de manganèse ou de terres rares, voilà ce qui se passerait.
Pour être conforme, la loi NOME imposerait à cette mine de vendre à ses concurrents mineurs, distributeurs et traders 20 à 25% de sa production à un prix régulé et fixé par un organisme de contrôle. Appliqué à EDF, les propositions du prix de transfert de l’électricité à ses concurrents producteurs ou fournisseurs d’électricité oscillent entre 38€/Mwh (la CRE) et 42€/Mwh (EDF). La production de cette mine n’étant pas illimitée, elle (EDF) peut dire adieu à 20-25% de sa clientèle.
Cette production minière transférée ne pourrait être vendue et consommée qu’en France (en opposition avec la règle de libre circulation européenne). Le prix de cession devrait permettre une concurrence entre les différents acteurs, comprenez que chacun puisse faire des marges en France. La CRE calcule qu’à 38€/Mwh chacun fera du bénéfice, en dessous de 42€/Mwh EDF déclare perdre de l’argent.
Le coût d’extraction tiendra compte de l’entretien de la mine, de la richesse des filons. Simplifions et oublions les calculs de coût marginaux des différents veines de notre mine et, de fait, le coût de transfert se situera au point mort global ou en dessous sinon pas de concurrence possible. L’exemple du gaz est intéressant. La denière hausse des prix décidée par la CRE, hausse moyenne de 9,7%, se décompose en 40% pour l’augmentation des prix du gaz liés au pétrole (à quand la prise en compte d’un prix du gaz indépendant du pétrole. Le prix du gaz de schiste n’est-il pas environ 2 à 3 fois moins cher ?) ; 60% pour les hausses de prix d’infrastructure – transports et stockage du gaz – (A propos, qui bénéficie de cette seconde hausse ?).
Mais revenons à nos moutons, comme pour le gaz, l’entretien des infrastructures d’EDF alourdit la facture : 600 millions d’euros par réacteur pour prolonger la vie des 58 centrales dans un cadre réglementaire en évolution. Par ailleurs, récemment un directeur R&D indiquait le coût d’indisponibilité croissant lié à l’environnement (température, végétaux ou minéraux dans les prises d’eau).
Cui prodest ? EDF a-t-elle politiquement et/ou socialement, comme vous le souhaiterez, le droit de faire des bénéfices en France ? Le charme de cette situation fait que l’actionnaire d’EDF se doit de réfléchir à ce transfert de marge. Dit autrement, EDF faisait l’an dernier environ 50% de son chiffre d’affaires en dehors de France et avec ses dernières acquisitions, en 2010, il pourrait bien atteindre 60% et ses bénéfices viennent en majorité de l’étranger, la France absorbe des coûts. Est-ce sexy d’engendrer d’autres pertes en France et des gains à l’étranger alors que ses confrères feront des gains en France et des gains aussi à l’étranger ?
Y a-t-il des hypothèses ici ou là pour sortir de cet imbroglio ?
· Un compromis sur les prix est trouvé car les fournisseurs d’électricité contribuent à financer l’entretien des centrales (les 600M€/unité) et en contrepartie ils reçoivent un prix non inflationniste pour le consommateur. Avez-vous dit privatisation ? Les idées violentes sont périlleuses, la violence sans les idées c’est pire.
· EDF deviendrait gestionnaire d’une sorte d’énorme coopérative d’état produisant toute la production électrique située sur le sol national. Toutes les productions d’électricité françaises sont intégrées dans le calcul de cette redistribution. Mais il lui faudrait acquérir les productions électriques hors-EDF échappant à la NOME (hydrauliques, gaz, charbon…). Dans cette hypothèse, EDF n’a plus de clients particuliers ni industriels en France et il vend au prix CRE aux fournisseurs d’électricité en France. En revanche, il peut exporter et avoir des clients à l’étranger. Le rire tue.
· Inversement, EDF dépossédée de sa production électrique en France ne deviendrait qu’un fournisseur d’électricité français parmi d’autres. Une faute peut mener au désastre.
· EDF conservait 100% de la production de ses centrales électriques ainsi que ses clients mais les autres acteurs se voient réserver la production et la commercialisation de toute l’électricité dite renouvelable produite en France, y compris celle produite par les particuliers. Bruxelles en impose 20% d’ici peu. Le progrès est affaire de chance.
Graphique des prix de l’électricité
· La solution accompagnée du diable seront dans les détails mais, si l’application de la loi NOME s’accompagne d’une hausse des prix le consommateur ne se posera que de bonnes questions. Vous avez remarqué qu’au cœur de la crise financière Bruxelles avait réinventé le film muet, nous avions les images mais pas de son. D’aucuns eurosceptiques avaient espéré ici n’avoir eu ni l’un ni l’autre car le graphique des prix de l’électricité ci-contre indique une bonne position concurrentielle européenne de la France.
Concluons sur une information d’un analyste à propos d’une société belge établie au Brésil : (i) hausse de 20% des tarifs d’électricité régulés aux particuliers (57€/Mwh environ) et 13% aux industriels (ii) hausse de la demande industrielle grâce au renouveau de la croissance et (iii) gains de parts de marchés chez les distributeurs. Cela paraît si simple dans les marchés émergents !
Publié dans Les Échos le 27 05 2010