In Le Monde, le 8/05/2019
Sous l’égide de la Conférence internationale de la région des Grands Lacs (CIRGL [organisation régionale]), les efforts de traçabilité de ces minerais sont certes coûteux pour les mineurs artisanaux, mais ils ont presque éradiqué les trafics dans le tungstène, l’étain et le tantale. La future mine industrielle d’étain de Bisié, pilotée par la société Alphamin, qui devrait commencer à produire fin 2019, témoigne de cette confiance retrouvée.
La situation est, cependant, plus difficile dans le cas des mines d’or
artisanales. Le trafic transfrontalier se poursuit entre les lieux de
production de la RDC orientale et les comptoirs de négoce des trois pays
voisins : Ouganda, Burundi et Rwanda. Ces trois pays n’ont que très peu de
mines et exportent pourtant d’importantes quantités d’or vers Dubaï : chaque
année, environ vingt tonnes d’or congolais quittent l’Ouganda et le Rwanda pour
les Emirats arabes unis.
Sanctions par Dubaï
Ce trafic alimente un reliquat de bandes armées qui échangent l’or contre des équipements et des armes, contraignant l’ONU à laisser sur place plus de 18 000 soldats de l’ONU pour un coût annuel de 1,2 milliard de dollars (environ 1,071 milliard d’euros).
Dans ces conditions, il reste à Kinshasa de passer des discours aux réformes
pour qu’une traçabilité effective des minerais s’impose à l’ensemble des pays
de la zone des Grands Lacs. Une solution radicale consisterait déjà à investir
dans une fonderie d’or située dans une ville frontalière de la RDC orientale,
comme Goma, Bukavu ou Butembo.
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pour la filière
Actuellement, l’African Gold Refinery, une usine d’affinage ougandaise proche de l’aéroport d’Entebbe, absorbe l’or illégal de toute la sous-région. Elle a été récemment sanctionnée par les autorités de Dubaï, et le gouvernement belge surveille ses activités. S’il se confirmait qu’elle aurait importé entre quatre et huit tonnes d’or venant du Venezuela en mars 2019, sa pérennité serait menacée par des sanctions américaines.
L’autre sujet complexe concerne les mines de cobalt situées dans le sud du
pays, dans les provinces du Lualaba et du Haut-Katanga. Il ne s’agit pas ici de
« minerais de sang », puisqu’il n’y a ni contrebande, ni financement de bande
armée, mais un problème économique de répartition de la manne minière.
Souveraineté minière
De part et d’autre des 280 kilomètres des routes nationales 1 et 39 qui relient Lubumbashi à Kolwezi, le cuivre et son coproduit le cobalt sont exploités depuis des décennies : 70 % de l’offre mondiale du cobalt vient de cette région. Des mines industrielles géantes produisent 85 % à 90 % du cobalt congolais. Des mineurs artisanaux produisent les 10 % à 15 % restants, à partir de concessions répertoriées.
Les cours internationaux avaient atteint 24 000 dollars la tonne au 1er janvier 2016, la spéculation les a multiplié par quatre, à 95 000 dollars la tonne en 2018, puis la surproduction les a divisé par trois, à 30 000 dollars la tonne en avril 2019. Cette incroyable volatilité a fragilisé la rentabilité des mines, industrielles comme artisanales. Au-delà, toute une population survit, dans une immense pauvreté, du produit de petites mines illégales parfois situées sous des logements ou encore aux limites des immenses territoires des mines industrielles.
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En aval de la filière artisanale officielle, le minerai est vendu sur place, mais des acheteurs illégaux sous-estiment les poids et les teneurs de cobalt ou de cuivre. Une décision provinciale prise fin 2018 doit créer des centres de négoce officiels équipés de balances agréées, de laboratoires d’analyse pour certifier la teneur, et de banques pour accueillir l’épargne des mineurs artisanaux.
Le premier centre est en construction à Kolwezi, un deuxième devrait se situer au village de Kisanfu. Si cette filière n’est pas détournée par d’autres intérêts, ces deux centres pourraient être les prémisses d’une Bourse du cobalt locale. Une fonderie d’or au Kivu, une Bourse du cobalt dans le Lualaba, sont deux étapes indispensables pour que la RDC recouvre une souveraineté minière.