Acier : la dangereuse dépendance croissante de l’Europe

In La Tribune 22/05/2021

En 2008 la production européenne d’acier était de 180 000 millions de tonnes, en 2020 elle n’était plus que d’environ 130 000 millions de tonnes et la crise du Covid-19 n’explique pas cet affaissement de 30 %.

En effet, depuis le pic de la demande d’acier datant des années 70, après chaque crise l’Europe a perdu des capacités de production sidérurgique, qu’elle n’arrive pas à reconstituer par la suite. Ainsi, dans les dix années qui suivirent la Grande Crise Financière de 2008, la sidérurgie européenne a fermé des usines à hauteur de 22 Mt et 80 000 emplois directs furent détruits.

Cependant, la reprise économique post Covid-19 permet un doublement du prix du minerai de fer entre mai 2020 et mai 2021, notamment à cause des tensions commerciales australo-chinois et l’impact de la Niña sur la production brésilienne, mais elle provoque surtout la multiplication par deux des prix de l’acier, parce que les capacités de production ne sont plus assez nombreuses face à une demande qui a explosé.

En un mot, tout comme la Covid-19 a dépassé les capacités de l’économie de la santé européenne à cause d’une mauvaise gestion de nos Solidarités Stratégiques de souveraineté par les états, à force d’avoir réduit le nombre de ses aciéries, par la faute notamment d’une absence de protection face à la concurrence asiatique, l’Europe est en sous-capacité sidérurgique structurelle, elle n’est plus autosuffisante en acier, Le pic acier est dépassé, mais nous glissons silencieusement dans une trappe de dépendance.

La grande question est d’anticiper si la reprise post Covid-19 et la hausse de prix qui l’accompagne seront des évènements conjoncturels, et qu’il faut s’attendre ensuite à de nouvelles crises sociales de l’acier européen une fois les goulets d’étranglement de production résorbés, ou bien si l’embellie sera structurelle avec des perspectives positives durables ?

En 2012 les exportations européennes d’acier culminaient. Deux fois supérieures à aux importations, elles représentaient encore 20 % de la production de l’Union. Mais l’équilibre entre exportations et importations n’a depuis cessé de se détériorer, en profitant d’abord à la Chine. Il est devenu négatif pour la première fois en 2017 lorsque l’Inde en est devenue le premier exportateur vers l’Union. Mais depuis trois ans il bénéficie en premier lieu à la Russie, puis la Corée de Sud, l’Inde, l’Ukraine, Taiwan, la Turquie, la Biélorussie et plus loin dans le classement au Vietnam, au Japon, à l’Indonésie au Brésil et enfin à la Chine.

En 2020, comparées à 2012 les exportations européennes ont diminuées d’un tiers, mais, plus grave, les importations leur sont supérieures. Du point de vue des importations, la Turquie est le premier exportateur d’acier vers l’Europe, car elle recycle ses déchets. Elle devance la Russie, puis la Corée du Sud et en quatrième position le Royaume-Uni brexité. La Chine est loin derrière

Cette dernière est en effet rentrée dans le nouveau paradigme du 14ème plan quinquennal qui consolide entre eux les aciéristes en fermant les capacités sidérurgiques obsolètes, comme récemment pour Tangshan et Hadan ; augmente le recyclage de l’acier à hauteur de 30 % des capacités nationales ; n’encourage plus les exportations, notamment en éliminant les exceptions de TVA à l’export. Pékin importera probablement plus d’acier que par le passé, car le secteur y fonctionne à plus de 90 % de ses capacités provoquant en retour l’ire du pouvoir chinois, car l’inflation des prix de l’acier menace les objectifs de l’organisation industrielle nationale.

Si la Chine n’est pas la cause de l’état de dépendance de l’Europe, la future perte de souveraineté sidérurgique européenne, aussi discrète que la perte de souveraineté sur les vaccins, est à chercher ailleurs. Des changements sont à opérer en urgence, car l’impact d’une telle perte de puissance et de contrôle sur les prix et les flux de l’acier serait immédiat sur le bâtiment, les infrastructures, les équipements industriels, les transports, l’armement, la construction navale, etc.

Premièrement, un acier européen indépendant et souverain doit éclairer avec plus d’intensité sa relation géopolitico-commerciale avec les aciers de la Russie, de l’Ukraine et de la Biélorussie, et rééquilibrer sa relation commerciale.

Deuxièmement, un acier européen non dépendant signifie de se préparer à une baisse des exportations indiennes vers l’Europe, dès lors que New Delhi suivra la même pente que Pékin. En Europe, les aciéries fonctionnent actuellement à près de 100 % de leurs capacités nominales, nous faudrait-il en rouvrir de nouvelles pour ne pas sombrer dans une trappe de dépendance acier ?

Troisièmement, un acier souverain se préparerait également à se défendre contre les prochaines surcapacités de production de l’Asie du Sud Est qui, tout comme les aciéries du monde entier, visent la neutralité carbone grâce au remplacement du charbon par l’hydrogène.

Quatrième élément, sans doute le plus important, un acier européen indépendant doit briser un tabou bruxellois. C’est-à-dire restreindre, voire entraver ou interdire les exportations européennes de déchets d’acier, notamment vers la Turquie qui les transforme et nous les retourne sous la forme d’aciers consommables.

Mais Bruxelles saura-t-elle briser l’un de ses propres tabous pour ancrer les moyens de son nouveau mantra, l’économie circulaire, ou bien devrons-nous croire que l’Europe serait incapable de réaliser elle-même son propre recyclage ?