In La Tribune 31/01/2020
Alors que la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis s’intensifiait fin 2018, le premier producteur mondial de lithium, le chilien SQM, voyait 24 % de ses actions détenues par le canadien Potash Corp être rachetés par le chinois Tianqi pour plus de 4 milliards de dollars.
S’il y avait eu à cette époque une « guerre des métaux » entre la Chine et le reste du monde, nous aurions dû lire des tweets ravageurs de Maison-Blanche encourageant une société étatsunienne à contrer Tianqi, et saisir les 24 % du leader mondial SQM. Mieux que cela, s’il y avait eu une « guerre du lithium », pourquoi Washington ou l’Europe ne seraient-ils pas intervenus auprès des autorités chiliennes pour tourner cette vente à leur avantage? Rien de tout cela. Tianqi a acheté le quart de SQM et grâce à ses participations dans d’autres producteurs en Chine et en Australie il devenait premier producteur mondial de lithium.
Crise de légitimité
Cette affaire illustre à quel point la géopolitique des métaux subit une sévère crise de légitimité. Il y a quelques années, des amateurs de sensationnalisme embarquaient dans le train de la supercherie géopolitique à propos des terres rares. Ils arrangeaient ensuite des théories du même type à propos des matières utiles au «smartphone à 4 roues », c’est-à-dire dans notre langage normal la voiture électrique, mais aussi des métaux utiles aux énergies renouvelables, à l’électronique et la 5G, à l’intelligence artificielle, etc. Autant de manipulations de théâtre destinées à produire des surinterprétations bizarres qui ont pu avoir pour simple but d’encourager l’investissement spéculatif dans ces matières.
Mais revenons au lithium. Comme annoncé ici, les prix sont descendus aux enfers, en conséquence les comptes des producteurs révélaient leurs faiblesses. Au troisième trimestre 2019, Tianqi admettait une première perte depuis 4 ans, un résultat annuel en probable baisse de 95 % par rapport à 2018 et des difficultés pour rembourser l’emprunt qui fut contracté pour acheter SQM. Sa note obligataire s’est dégradée et une première augmentation de capital était opérée fin 2019. Le prix de l’action qui avait culminé à proximité de 60 CNY (yuan) fin 2017 sombrait à moins de 20 CNY en juin 2019 et s’échangeait à 30 CNY récemment.
Toutefois, Tianqi est propriétaire de superbes actifs et est un pion intéressant de la chaîne logistique des batteries. Pékin la relèvera d’une manière ou d’une autre, peut-être en organisant des fusions dans les secteurs des matériaux, des batteries ou des automobiles dont l’efficience réclame une consolidation industrielle. Entre-temps, sa situation est d’autant plus tendue que malgré des coupes de production chez les producteurs de lithium et l’annonce d’un maintien des subventions à l’achat de voitures électriques par le Politburo chinois en début d’année – avant l’éruption du coronavirus -, les prix du lithium ne sont pas repartis à la hausse.
La pitrerie des « métaux rares »
Évidemment, les récentes configurations des courbes de prix de ces matières liées à la transition énergétique confirment encore une fois que la pitrerie des « métaux rares » était une fake-news. Mais la plus grande surprise est réservée aux convertis du canular d’une « guerre des métaux » menée par la Chine. La première proie minière de la révolution économique verte n’était en effet pas un mineur de cobalt africain, un producteur de lithium sud-américain ou australien, ni un producteur de nickel ou un producteur de métaux de l’Ancien Monde tels le rhodium ou le palladium, encore moins un consommateur occidental, mais l’inverse : une entreprise chinoise, Tianqi. Un fait qui contredit magistralement toutes ces infox métalliques stigmatisant sans nuances les entreprises chinoises.