L’or, relique civilisée « d’une économie devenue barbare »

In Le Monde 12/09/2019

Commerce mondial, réserves bancaires, dette mondiale, justice extraterritoriale… Le dollar dirige la planète financière. La monnaie de Washington offre un marché profond, une valeur stable, une liquidité et une certaine sécurité liée à l’indépendance de la Banque centrale américaine. Mais cette neutralité du dollar est menacée par la politique de guerre commerciale du président Trump, et la guerre des monnaies qui s’ensuit provoque des dévaluations.

Les privilèges attachés au dollar ne sont plus durables. L’expansion de l’économie réclamant cependant une monnaie globale, un nouvel ordre monétaire surgira de cette crise et trois candidats à la succession illustrent cette renaissance : un panier de devises, des monnaies virtuelles et l’or. La qualité principale de l’or est celle que le dollar perd : l’indépendance. Si certaines banques centrales remplacent le dollar par l’or dans leurs réserves, c’est parce que l’or n’est la dette de personne et que son taux d’intérêt, qui existe bien, est déterminé non par un pays, mais par la différence des prix entre le marché comptant et le marché à terme.

Libre de dettes, certes, mais face aux marchés financiers dollarisés, la profondeur du marché de l’or et sa liquidité sont aujourd’hui insuffisantes. Ils réclameraient que le prix de l’or ou sa production, voire les deux, soient multipliés. De combien ? En divisant les valeurs de la monnaie papier et des produits financiers mondiaux par les quantités d’or thésaurisées, certains calculent une valeur de l’once d’or oscillant entre 10 000 et 25 000 dollars, soit de 7 à 17 fois plus qu’aujourd’hui.

L’or et l’enjeu de la transition environnementale

Le spectre est large, mais il reste étroit face à la réalité d’autres éléments plus spéculatifs liés à un tel bouleversement. Un prix plus élevé, pour mieux assurer la profondeur de marché, la stabilité, la liquidité et la sécurité financière, réserverait l’or aux banques centrales et détruirait la demande d’or de l’industrie bijoutière et de l’investissement privé. Par ailleurs, la question environnementale musèle de plus en plus l’accroissement de la production minière. Pour l’or aussi la transition environnementale a un effet inflationniste !

La fin du dollar, l’apparition d’un nouvel ordre financier mondial métallique sont, comme chaque grand chambardement, projetés par chacun, mais sans le désirer vraiment de peur de perdre le confort du dollar. Si l’or peut jouer le rôle temporaire de relais entre un ordre mondial dollarisé et une future monnaie à imaginer, ce monde futur est encore flou. Panier monétaire régi et garanti par des banques centrales, mais quelle indépendance auraient ces monnaies ? Monnaies virtuelles sans règles écrites de fonctionnement ni de cautions garantissant la stabilité de leurs valeurs ? Le graphique du prix du bitcoin convainc du danger de l’outil ?

In fine, un nouvel ordre monétaire ne pourrait-il pas être un mélange des trois : un panier de monnaies virtuelles régulées pas des autorités financières plutôt que par Facebook, adossées à un métal tel que l’or et à d’autres métaux voire à d’autres matières premières ? Selon Keynes en 1923, l’étalon-or était une « relique barbare » et démodée dans une économie nouvelle et civilisée. Près de cent ans plus tard, deviendra-t-il le talisman civilisé d’une économie moderne, mais devenue barbare ?