Mortelle transition énergétique allemande

In Les Echos 30/01/2014

La tempête Xaver ravagea l’Europe du Nord les 5 et 6 décembre 2013. L’Allemagne en produisait un record d’environ 26 GW d’électricité éolienne. c’est l’équivalent à 19 EPR fonctionnant à 80% de leurs capacités. Mais les réacteurs nucléaires fonctionnent 90% du temps, pendant 40 à 50 ans, jour et nuit, sans souffrir quotidiennement de traumatismes humains et des dégâts financiers « à la Xaver ».

Deux évènements énergétiques importants du mois de décembre 2013 avaient lieu en Allemagne.

Le premier fait suite à la formation du gouvernement présenté le 17 décembre autour d’Angela Merkel. Outre que ce spectacle de la construction démocratique d’une coalition semble un rêve pour l’électeur français (le peuple contraint ses politiques à un gouvernement d’unité nationale), on y trouve un ministre de l’économie qui cumule cette fonction avec celle de l’énergie. Pour avoir une bonne économie et des emplois il faut une énergie puissante et peu couteuse. Un enseignement pour la France chez qui l’énergie n’est rattachée ni à l’économie ni à l’industrie mais à l’environnement.

Le second évènement remonte à la tempête Xaver qui ravagea l’Europe du Nord les 5 et 6 décembre 2013. L’Irlande, l’Ecosse, l’Angleterre, les Pays-Bas, la Suède, la Pologne, le Danemark, l’Allemagne ; tous virent des inondations, des écroulements d’immeubles, des engloutissements de maisons sur les rivages, des chutes d’arbres sur des voitures et des habitations, des rafales mortelles provoquant des accidents de la route. Ensuite, la tempête de Noël,  Dirk, fit moins de dégâts en Allemagne, mais plus en France, puis Erich… Nombreux furent ceux qui passèrent les fêtes de fin d’année à la bougie dans l’ouest de la France. A lui seul Xaver provoqua le déplacement de dizaines de milliers d’habitants, au moins dix morts sur terre et en mer, il coutera vraisemblablement près d’1.5milliards d’euros.

Mais les vents de Xaver permettaient à l’Allemagne de produire un record d’environ 26 GW d’électricité éolienne, pendant environ une heure, le 5 décembre alors que les turbines fonctionnaient à 80% de leur capacité. De plus, le 6 décembre, tôt le matin, ces éoliennes fournirent près de 40% de la consommation allemande. Deux jours exceptionnels et une productivité hors du commun car ce secteur produisait 50 fois moins d’électricité le 2 novembre ; 8.6 fois moins d’électricité le 3 novembre ; 2.5 fois moins le matin du 4 novembre ; 10 fois moins le 7 novembre. En moyenne mondiale, par manque de vent, les éoliennes ne sont utiles qu’à la hauteur de 20% à 25% du temps.  C’est-à-dire que 4 à 5 éoliennes sont nécessaire pour remplacer une usine électrique de même puissance et fonctionnant à 100%.

Ce chiffre de 26 GW est également intéressant car il équivaut à 19 EPR fonctionnant à 80% de leurs capacités. Toutefois, les réacteurs nucléaires fonctionnent 90% du temps, pendant 40 à 50 ans, jour et nuit, sans souffrir quotidiennement en parallèle de traumatismes humains et de dégâts financiers causés « à la Xaver ».

Quoiqu’il en soit, beaucoup d’électricité éolienne pendant quelques heures, en réalité beaucoup trop, signifie comme toujours dans pareille situation, que l’Allemagne ne pouvant absorber ces excès de la nature avait trois solutions : arrêter le fonctionnement d’éoliennes, ce fut fait, également pour des raisons de sécurité car de rares anciennes turbines furent détruites par les vents; vendre à prix bradés ce surplus d’électricité sur le marché allemand, ce fut fait, pendant quelques minutes du 6 novembre au matin le prix allemand fut 44% inférieur au prix français; ou bien exporter à prix parfois négatifs cette surcharge vers ses voisins, ce fut fait, l’Allemagne exportât ses crêtes vers ses voisins.

Remarque supplémentaire, ces ajustements prix et exportation, sont plus répétitifs l’été en cas de pics de production solaire lorsque la consommation est peu élevée.

Pourquoi l’éolien produit au mauvais moment ?
Lorsque l’on s’interroge à propos de la production énergétique il faut profondément plonger une réponse dans la consommation d’énergie mais surtout dans son transport. Si l’électricité climatique est produite en masse en des lieux éloignés des zones de consommation, outre les coûts de construction, d’entretien et de financement de l’éolien et du solaire, c’est le coût de la transmission de cette électricité qui sera élevé : champs éoliens de l’intérieur chinois par rapport aux zones côtières, champ éoliens de mer du Nord par rapport du sud de l’Allemagne, hypothétiques fermes solaires d’Afrique du Nord par rapport à l’Europe.

Avec la production intermittente d’électricité, c’est la stabilité du réseau électrique transportant l’électricité qui est critique. C’est le véritable défi de l’électricité climatique : l’équilibre entre offre et demande est essentielle ; il ne faut pas produire trop peu, mais pas d’excès non plus, sinon c’est le trou noir.

Or, si du coté de l’offre les éoliennes fonctionnent à 80% dans la tempête, que les usines conventionnelles (gaz, charbon, nucléaire) ne peuvent pas instantanément s’arrêter, alors chacun peut comprendre que du coté de la demande, la consommation stagne voire sombre si les populations se calfeutrent, si les entreprises ferment et si les industries s’arrêtent pendant les intempéries. C’est l’inefficacité d’une offre climatique qui s’emballe au milieu d‘une tempête ou d’une canicule alors que la demande est stable voire se réduit. Le surplus sera perdu à jamais : nous ne savons pas le stocker et personne n’est entrainé à surconsommer à cet instant-là.
Le stockage est une recherche équivalente à celle de l’introuvable Graal. A grande échelle, elle va tous azimuts : air comprimé, hydrogène (à partir de gaz ou d’eau ?), ou bien batteries (chimique, physique ou biologique). Ces dernières sont des éléments complexes à cheval sur les sciences physique et chimique et gouvernées par la thermodynamique.

La surconsommation nécessaire demande des réponses dépassant les tarifs heures creuses et l’Angleterre montre un exemple. Elle qui connait une surcapacité éolienne maritime, plutôt que de supporter le coût  d’arrêt des éoliennes la nuit, elle envisage de rémunérer les consommateurs pour consommer nuitamment l’électricité d’origine éolienne nocturne. L’impact sur les autres sources de production non-intermittente est encore inconnu.

Sans stockage industriel sur place pour équilibrer les réseaux, il reste le stockage naturel via l’exportation du surplus par exemple vers les barrages hydro-électriques suisses ou autrichiens pour y alimenter les  turbines électriques (STEP) remontant de l’eau dans les barrages. Vendue à des prix parfois négatifs, l’acheteur est payé pour acheter, cette électricité climatique qui a  déjà provoquée la fermeture d’usines électriques à gaz en Allemagne mais aussi au Pays-Bas, reviendra plus tard sous forme d’hydroélectricité vers les consommateurs lorsque la production électrique sera en déficit, mais cette fois au prix fort.

Rémunérer le producteur allemand d’électricité climatique avec profit même en cas de surproduction, revendre cette production à zéro, voire à un prix négatif à un concurrent, puis la lui racheter au prix fort en cas de pointe, représentent un surcoût. Le consommateur allemand accepte de payer son électricité très cher, la plus cher d’Europe et l’industrie allemande la paye deux fois plus cher qu’aux États-Unis.

Pourquoi les prix s’affaissent lors des pics de production ?

L’électricité climatique allemande excessive par intermittence est achetée aux producteurs  à prix subventionnées et déversées en priorité sur les réseaux. Pour y respecter l’équilibre offre-demande d’électricité et donc soulager son réseau de ses propres excès, l’Allemagne déclenche deux effets : les prix s’effondrent et par contagion affaiblissent les prix dans les pays limitrophes interconnectés qui importeront les surplus ; les usines électriques conventionnelles (gaz, charbon) fonctionnent par intermittence mais ces arrêts/marches coutent cher. Les plus réactives fonctionnent au gaz  et ne sont rentables qu’à partir d’un taux d’utilisation d’environ 60%.

Certaines fonctionnèrent moins de deux semaines en 2013. Non rentables elles furent remplacées par des usines électriques plus économiques parce que fonctionnant au charbon. Toutefois, au total, plus d’éolien et plus de solaire en Allemagne c’est un coût de gestion de la production d’électricité dès plus élevé en Europe.

Plus d’éolien et plus de solaire en Allemagne c’est également un impact environnemental désastreux avec plus de combustion d’énergie primaire la plus polluante : le charbon. En 2012, L’Allemagne, le septième producteur mondial de charbon, produisait 45% de son électricité grâce à ce dernier contre 22% pour les renouvelables, 16% au nucléaire (le feu nucléaire doit s’éteindre en 2022), 11% au gaz et le solde dont le fuel 6%. En 2013 la part du gaz aura encore reculée au profit du charbon. Contrairement aux idées reçues, la consommation de charbon allemande est en progression depuis 1998, elle est au plus haut depuis 20 ans, et les importations de charbon qui étaient nulles en 1980 représentent à présent 50% des besoins : les centrales fonctionnent  pour moitié au lignite allemand et pour l’autre moitié à partir de charbon provenant de notamment de Colombie, d’Afrique du Sud, des Appalaches…

C’est ici que la baisse des prix du gaz de schiste états-unien se transmet à l’électricité européenne via l’importation de charbon américain, avec la dégradation de l’air en plus. La situation serait probablement différente si le prix du carbone n’était pas aussi bas sur le marché des quotas d’émission européen, mais il faudrait le multiplier par dix avec des effets induits désastreux sur l’emploi. C’est une autre stasis, sans jeu de mot.

Mortelle transition énergétique allemande 2/2

In Les Échos 30/01/2014

Transition énergétique allemande dominée par le CO2

En Allemagne donc, nous avons une transition énergétique dominée par le charbon, des subventions tarifaires dévolues aux énergies climatiques, une gestion des flux transfrontière et l’application du Plan énergie climat 2020. Ce dernier est une résilience de la réflexion du Club de Rome et l’héritier du paquet climat-énergie 2020 avec ses 3 fois 20 : 20% d’énergie renouvelables dans le mix énergétique européen (mais pas nécessairement 20% d’énergies climatiques), 20% d’émissions de CO² en moins, 20% d’efficacité énergétique en plus.

Comment Berlin peut-il conduire une doctrine énergétique consommant plus de charbon, soucieuse de l’environnement et produisant avec constante une électricité peu couteuse? Ce questionnement préoccupe : doit-on craindre que l’impossibilité du contrôle de l’intermittence de la production allemande  présente un risque environnemental pour ses voisins s’ils étaient également obligés de s’engager vers l’énergie primaire de la moins couteuse : le charbon ? Alors que d’aucuns sollicitent la disparition du charbon en Allemagne, si le programme de la nouvelle coalition était appliquée, il porterait la consommation d’énergies climatiques de 23% du mix allemand aujourd’hui à 45 % en 2025, 60% en 2035 et 80% en 2050 ; sans pour autant indiquer le remplaçant du charbon. Les récentes propositions allemandes sur l’augmentation de la part du renouvelable dans le mix énergétique européen à 2030 (compromis européen à 27%) ne demandent aucune autre explication.

S’il n’est pas possible que le feu nucléaire revienne à la mode outre-Rhin, les centrales électriques au charbon seront probablement nationalisées (ironie de politiques européennes qui encourageant le marché libre et favoriseront des nationalisations), voire vendues aux nouveaux acteurs d’énergies climatiques afin qu’ils se débrouillent de leur rentabilité, de l’intermittence des énergies climatiques mais également de l’entretien du réseau de transmission électrique.
En effet, le solaire sur-le-toit-de-ma-maison est une production consommée sur place l’été, mais l’hiver, avant d’être consommée, l’électricité d’une centrale au charbon ou celle des champs d’éoliennes septentrionaux voyagent sur le réseau, réseau qu’il faut entretenir. Qui paye le financement de l’extension et de l’entretien du réseau électrique allemand ? Le petit producteur privé bénéficiaire du solaire sur-le-toit-de-ma-maison ou bien la multinationale déficitaire ? Dit autrement : comment l’indépendance énergétique individuelle peut-elle conduire à l’affaiblissement de la communauté ?

Dans ce contexte, pour certains la fin de cette expérience de transition énergétique à l’allemande semble proche, pour d’autres le nucléaire français devient un bouclier anti-charbon.

C’est la communion des énergies qui doit répondre aux besoins

Le pire n’est jamais certain. Par exemple aux États-Unis, la consommation de gaz augmente aux dépens du charbon, celui-là même qui est exporté vers l’Allemagne. La croissance chinoise s’est accompagnée d’une électricité à 78% charbonnière mais la recherche de gaz de schiste qui y débute et l’accroissement du nucléaire et du solaire permettront la réduction de cette emprise. Au Japon, l’utilisation récente du charbon et du gaz masquait la pause nucléaire mais son  redémarrage est accompagné d’une nouvelle vision industrielle du solaire.

Il faut affirmer que le solaire est l’énergie climatique de masse qui doit vastement être encouragée car elle connaitra de nouveau des baisses de coûts et pour le bien de l’humanité c’est sans doute où le charbon domine, en Inde, en Asie du Sud-Est mais aussi en Afrique, que nous devrions nous concentrer.

Revenons à l’Europe et ne laissons pas de côté la question d’une politique européenne de  l’énergie, aujourd’hui inexistante, et son outil, un réseau électrique européen interconnectant les pays qui la compose. S’ils produisent de manière incontrôlée de l’électricité climatique dans le vent des mêmes tempêtes ou le feu des mêmes étés, s’ils se chamaillent pour déverser ce surplus électrique chez le voisin, lui-même également en surproduction, un trou noir européen, une rupture géante du réseau ne serait-elle pas la menace permanente ?

Si le charbon à l’allemande connait un rôle équivalent au gaz de schiste américain, nous qui réussissons l’exception culturelle et sommes une exception énergétique nucléaire, comment, sans la copier, intégrer la dérive climat-charbon allemande dans une promesse énergétique européenne viable? Faudrait-il imaginer une mutualisation européenne des capacités énergies climatiques d’un côté et des usines assurant l’intermittence de l’autre. Dans ce cas, quelle énergie primaire privilégier ?

Ne passons pas également sous silence la nécessité de la compétitivité internationale de l’ensemble pour fournir l’industrie et sauvegarder l’emploi. Mais nous en reviendrions au ministre de l’énergie qui est également celui qui gère l’économie.

L’un des dangers de la vie politique est de se laisser accaparer par une idée fixe : la violence de cette idée fixe ne mène pas au bien-être. La doctrine énergétique allemande est-elle violente, est-elle est polluante, est-elle couteuse pour le consommateur, son  bien-être et  son environnement ?

C’est ici que la question à du sens : baser son développement économique sur les énergies primaires climatiques est-elle une stratégie moins risqué que celle basée par exemple sur la géo-ingénierie ? Mais l’objet observé est rarement déchiffré indépendamment du sujet qui l’observe !

Postscriptum

A l’échelle de la planète, le monde a rarement eu accès à autant d’énergie primaire : gaz, charbon, pétrole, uranium, vent, soleil, fleuve, géothermie, courant marin. Il n’y a nulle pénurie, au contraire.

Plus de la moitié de ces énergies primaires hydrocarbonées et la quasi-totalité des énergies primaires climatiques exploitées sont consommées pour produire de l’électricité. Cette consommation connait la plus forte croissance, loin devant celles de l’industrie et du transport. Et, à la  source de production électrique, le charbon est la première énergie primaire, à l’échelle de la planète nous sommes toujours dans son âge d’or ; la consommation de gaz bénéficie d’une forte accélération (notamment aux États-Unis dans la production électrique mais également dans le transport en remplacement du pétrole) ; le nucléaire est en constante augmentation. Pour diverses raisons, charbon, gaz et uranium sont tous trois très bon marché mais le prix des hydrocarbures varient d’une région à l’autre en fonction des coûts d’acheminement – de 1 aà 5 pour le gaz (mais ce n’est pas le cas pour l’uranium).

Les énergies primaires du vent et du soleil, n’ont pas de prix mais la performance des énergies primaires climatiques varie elle aussi d’une région du globe à l’autre: le Brésil connait un rendement éolien supérieur à celui de l’Europe; En Chine, en fonction de la ressource saisonnière, les résultats financiers trimestriels de fermes éoliennes du sud augmenteront mais celle du nord diminuerons ; les mers peu profondes du nord de l’Europe sont plus propices à l’implantation de champs d’éoliennes marines  que la Méditerranée; le solaire est plus rentable en Italie ou en Arabie Saoudite qu’en Allemagne. Mais dans le changement climatique que nous connaissons,  questionnons-nous immédiatement sur l’évolution de la force des vents et de l’intensité lumineuse : seront-ils une menace pour les énergies climatiques?

Cependant en Europe comme dans le reste du monde, les pays développés comme les pays émergents assoient leur doctrine énergétique sur une énergie primaire prépondérante pour produire son électricité: en Nouvelle-Zélande ou en Autriche les centrales électriques hydroélectriques dominent la production; dans le Golfe ce sont les hydrocarbures ; en Corée le charbon et le nucléaire produisent en moyenne 70% de l’électricité ; aux États-Unis, le gaz de schiste remplace peu à peu le charbon ; en Allemagne comme en Chine et en Inde, les centrales électriques fonctionnant au charbon dominent ; en France notre exception culturelle est complétée de notre exception énergétique nucléaire et si nous devions nous normaliser au vue des statistiques mondiales, nous devrions nous imposer de produire en moyenne de 40% de notre électricité au charbon, c’est-à-dire un retour à l’année 1961, alors que fort heureusement notre production est aujourd’hui inférieure à 5%.

Chacun le comprend, en Europe comme ailleurs, il n’existe pas un modèle unique et parfait ; inutile de tenter de copier ceci ou cela chez celui-ci ou celui-là ! En France, il n’y a pas lieu de stigmatiser le modèle allemand tout comme le présenter comme un exemple à suivre car nos ressources sont simplement différentes. Nous n’avons pas de lignite, heureusement !