Le nickel est le « métal du diable » mais dans ces temps troublés le
diable est dans le métal et il contamine ceux qui le touchent.
Le nickel est le « métal du diable » mais dans ces temps troublés le diable est dans le métal et il contamine ceux qui le touchent. C’est pourquoi un ami calédonien s’inquiète de la configuration du marché et m’interroge sur l’impact qu’il pourrait avoir sur la Nouvelle-Calédonie.
Le diable est dans le marché
Dans la dernière décennie, le marché mondial du nickel fut par deux fois renversé. Dans un premier temps l’irruption du ferronickel chinois, le fameux Nickel Pig Iron (NPI), déséquilibrait la demande. Dans un second temps, l’embargo sur les exportations de minerais indonésien, le ban indonésien, créait l’illusion d’une pénurie. Chimère agréable à mille yeux, exception faite de cette interview de février 2014 , contraire à la pensée unique de l’époque, qui présageait l’échec de l’embargo sur les prix.
Les réalités des marchés seront probablement différentes car les prix ne remonteront pas suffisamment tant les stocks mondiaux de nickel connus mais également les stocks cachés ne serons pas absorbés, cela prendra probablement plus d’un an ; tant que les stock d’acier inoxydable chinois, notamment de série 300 fortement chargés en nickel, ne seront pas également absorbés (cette production chinoise était en hausse de plus de 23% en 2013) ; tant que la progression de la production d’acier inoxydable hors Chine ne sera pas avérée ; tant que Djakarta n’aura pas été confronté aux conséquences sociales locales, non encore cristallisées, de son embargo : que diraient les petits mineurs calédoniens si soudainement une loi interdisait l’exportation de minerais ? Tant que Djakarta n’aura pas été confronté aux conséquences économiques de ce blocus et de l’augmentation de son déficit commercial ; tant que les progrès techniques chinois permettront petit à petit le remplacement du minerai nickélifère indonésien par le minerais philippin.
Le diable est dans les stocks
Entre 2014 et juin 2015, les stocks de nickel métal au LME passèrent de
260 Kt à plus de 470 Kt : révélations des fameux stocks cachés. Ils
s’affaissent depuis vers les 452 kt. Cet affaissement correspond
notamment au déplacement de métal du stock LME de Singapour vers le
marché de Shanghai qui traite le nickel depuis la fin mars 2015,
notamment du nickel russe depuis que Norilsk Nickel y est agréé « bonne
livraison », 40 000 à 50 000 tonnes de nickel métal d’origine russe
seraient en attente de livraison en septembre.
Au total, le marché est en excédent. La Chine n’importe plus de minerai
d’Indonésie, elle y bâtit et fait fonctionner des usines « locales »
sino-indonésiennes pour ensuite en importer la production de
ferro-nickel ; elle importe du minerai des Philippines pour fabriquer du
NPI en Chine ; elle importe du nickel russe ; elle importe également du
ferro-nickel de Nouvelle-Calédonie mais pas encore son minerais
latéritique.
En dépit d’une possible légère amélioration de la production d’acier
inoxydable en Asie, voire d’un achat magistral de nickel de la part du
stock stratégique chinois, la Chine continuera de parfaitement gérer
ses positions pour conserver des prix bas. Car le diable est dans les
prix, mais l’espoir écarte le diable et donc les prix remonteront, mais
quand ? Avant la fin de l’année, plus tard, trop tard ?
Le diable est chez les producteurs
Il y a encore une année, un producteur fondait sa stratégie
d’entreprise sur les prévisions d’un banquier australien et d’un trader
suisse : en 2015 les cours du nickel seraient à 25 000$/t grâce à une
pénurie ! Quelle erreur : le nickel est loin d’être en pénurie et les
stocks cachés sont apparus au grand jour.
Désormais la règle est simple. Pour les exportateurs de minerai, la
Chine n’étant plus le marché du dernier recours, ils devraient cesser
d’y livrer sèchement du minerai sans gain métallurgique et plus
particulièrement ne pas envisager des livraisons de latérites
calédoniennes. Peu importe dans ce marché baissier que les producteurs y
augmentent (ou maintiennent) leur production et leurs ventes, leurs
coûts baissant moins rapidement que les prix du nickel, les pertes
augmenteront plus vite que le chiffre d’affaire.
Les producteurs aux coûts élevés continueront de connaitre de grandes
difficultés et certains changeront de stratégie commerciale ou bien
remplaceront leurs dirigeants imprévoyants qui n’ont pas vu ou voulu
voir la crise. Les plus courageux feront tout cela à la fois.
De leur côté, des exportateurs calédoniens de minerai sont sauvés du marasme car ils améliorent sans cesse leurs gains métallurgiques.
Le diable est dans les conseils d’administration
Le diable chahute les conseils d’administration des sociétés en difficulté. Aux nominations apportant tempérance et expertise des uns, d’autres répondent brutalement et témérairement : énergie contre capital. Un 51% d’anthracite ou un « chantage » ? Méthode de maître-chanteur, indélicate reconnaissance de sa propre impuissance, aboutissement d’une stratégie du pire qui précipite le point de rupture, la rupture du contrat. Réveil brutal, schisme, où la désunion mènera-t-elle sinon au krach ? Krach libérateur ?
Le diable est dans la politique
Le diable qui se cache dans le nickel est également dans la politique calédonienne car personne ne l’en a chassé. Elle n’aide plus le nickel, au contraire elle l’affaiblit par son absence de leadership dans l’élaboration d’une Doctrine Nickel Commune car Nord et Sud progressent ou fléchissent indépendamment de l’autre. Rien n’a été fait depuis longtemps, on en voit le résultat !
Cet immobilisme passé est un gigantesque handicap pour les leaders politiques qui viennent de prendre les commandes. Mais ils ont deux avantages : les prix du nickel et l’éventuel krach libérateur les placent dos au mur ; préalablement à leur mandat, ils ont entendu les messages sur cette désormais impérieuse et indispensable nécessité d’une Doctrine Nickel Commune.
Ils ont une occasion et connaissent la solution, espérons que leur courage sera à la hauteur de la malignité du diable qui se cache dans le nickel.