Nouvelle-Calédonie : « L’avenir de la mine de nickel de Vale-Goro aura un impact sur le résultat du vote »

In Le Monde 15/09/2020

Quelle que soit l’issue du référendum du 4 octobre sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, l’avenir de la mine de nickel de Vale-Goro aura probablement un impact sur le résultat du vote.

De quoi s’agit-il ? La mine et l’usine d’affinage de nickel et de cobalt de Goro, au sud de Nouméa, sont déficitaires depuis quinze ans. Le propriétaire, le brésilien Vale, a chargé Rothschild Paris de vendre le tout. Débutée en février 2020, cette enchère est une somme de contradictions.

La première controverse résulte de la sélection des acheteurs de la mine.

Le 26 mai, une société australienne, New Century Resources, était retenue. Sans une visite du site industriel, l’offre concurrente de la société calédonienne de la province Nord, la Sofinor, associée au leader mondial coréen, Korea Zinc, n’avait pas été retenue.

Malgré les mises en garde, Vale n’a pas anticipé que tenir à distance la Sofinor augmenterait le risque pays. En effet, frustrés, les Calédoniens, qui font corps avec leur activité minière, se sont exprimés dans la rue. De nos jours, les entreprises minières modernes n’investissent pas contre les populations locales, mais les associent.

Projet fragile

Deuxième contradiction, New Century Resources est une petite société sans assise financière, mais elle devait trouver environ 1 milliard de dollars (environ 842 millions d’euros) pour assurer la reprise de Goro. Le vendeur valorisait l’usine à zéro et en outre apportait 500 millions de dollars, Paris accordait l’équivalent de 300 millions de dollars de facilités financières et fiscales. Puis 27 millions de dollars provenaient d’IGO, un actionnaire de New Century Resources, et 75 millions de dollars étaient prêtés par un fonds d’investissement anglo-saxon, Orion Resource.

Mais, soudainement, fin août, IGO cessait de soutenir le projet de reprise de Goro, il reprenait ses 27 millions de dollars et vendait ses actions New Century Resources. Orion lâchait également l’affaire le 4 septembre.

Troisième surprise, ni New Century Resources ni ses partenaires n’avaient de compétence pour faire fonctionner l’usine hydrométallurgique, ni de réelles références environnementales pour gérer le barrage de résidus miniers.

En quatrième lieu, Vale avait décidé de quitter Nouméa, mais devait rester destinataire du produit de la mine. New Century Resources projetait de n’exporter avec profit qu’une matière intermédiaire, l’hydroxyde de nickel, notamment vers l’usine chinoise de Vale à Dalian. Les marges métallurgiques auraient été réalisées en Chine et le nickel vendu aux constructeurs de batteries chinois, et à Tesla.

« Coup de Bourse »

Cinquièmement, l’ensemble de ces contradictions était ressenti, sur le plan local, comme les prémices d’un « coup de Bourse ». Une fois la vente faite, le capital de New Century Resources gagnant en valeur, sa revente au prix fort à une hypothétique entreprise minière d’Asie du Nord pouvait ressembler à un schéma boursier tel que celui d’Uramin, qui précipita la chute d’Areva.

Ces contradictions ont naturellement abouti à un échec. Le 8 septembre, New Century Resources a pris la décision de se retirer. Le projet était manifestement fragile.

Pourtant, en Asie, le nickel reste un métal dont la géopolitique est tendue. Il y a quinze ans, la production mondiale de nickel, de 900 000 tonnes, était dominée par les gisements sulfureux des régions polaires du russe Norilsk Nickel et du canadien Inco (absorbé par le brésilien Vale en 2006).

En 2020, elle est d’environ 2,5 millions de tonnes et elle se trouve désormais dominée par les gisements latéritiques tropicaux d’Asie du Sud-Est, notamment d’Indonésie, des Philippines et de Nouvelle-Calédonie, même si les entreprises russes et canado-brésiliennes produisent toujours autant.

Ce changement de domination dans la production de nickel des régions polaires vers les tropiques était inéluctable. Les premiers ne pouvant produire plus, les prix du nickel furent multipliés par dix en 2007, après l’arrivée d’un nouveau consommateur : la sidérurgie chinoise. Pékin a massivement importé du minerai de nickel d’Indonésie et des Philippines et l’a transformé chez lui en fonte de nickel. De sorte que les aciéristes chinois ont enfourné directement ce produit intermédiaire, et ont ainsi sécurisé leur approvisionnement tout en diminuant son coût.

Par la suite, l’Indonésie, privilégiant une politique de nationalisation des ressources, a interdit l’exportation de ce minerai et rendu obligatoire la transformation sur place. C’est pourquoi ont fleuri des aciéries chinoises au pied des mines. Djakarta exporte désormais de l’acier inoxydable vers la Chine et s’apprête à un même mouvement pour les batteries chargées en nickel et en cobalt. A l’échelle mondiale, 68 % du nickel est consommé dans l’acier, 27 % dans le secteur des alliages ; les batteries sont encore embryonnaires.

La Sofinor de nouveau dans le jeu ?

Pendant cette période, la Nouvelle-Calédonie a multiplié ses capacités par quatre. A l’usine de la Société le nickel (SLN)-Eramet, aujourd’hui sous procédure de sauvegarde, s’ajoutaient au sud Vale-Goro, désormais en vente, au nord la Société minière du Sud Pacifique (SMSP)-Glencore, qui reste en sous-capacité, et l’usine calédonienne SMSP-Posco… située en Corée du Sud. Cette dernière est profitable, car son point mort est l’un des plus bas mondiaux. Des exportations de minerai vers la sidérurgie japonaise complètent l’ensemble.

Représentant moins de 10 % de la production mondiale de nickel, l’industrie minière calédonienne reste néanmoins le poumon économique de l’île. Mais Vale va-t-il poursuivre la vente ou fermer l’usine ? Le 14 septembre, le Congrès de Nouvelle-Calédonie débattait de cette question.

Ce dernier auditionnait en effet deux candidats. Un sous-traitant minier calédonien, Byms, adossé à un fonds d’investissement ; et la SMSP, qui présentait son désir de stratégie commune entre le Nord et le Sud. Cette démarche du Congrès est vraisemblablement celle qui permettra de restituer tout son sens politique au référendum du 4 octobre en le délestant d’une charge économique liée au nickel qu’il n’aurait jamais dû porter.