In Les Echos 17 08 2012
Pourquoi la fracturation hydraulique serait-elle dangereuse dans le cas des hydrocarbures de schistes mais bénéfique dans le cadre de la géothermie ?
Chacun a de bonnes raisons pour promouvoir ou repousser l’exploration d’hydrocarbures de roche mère en France. Pourtant, le graphique 1 comparant les prix du gaz aux États-Unis (bleu) et en Europe (rouge) suffit à en comprendre l’intérêt.
A l’échelle de la planète, il n’existe pas un
marché du gaz de référence comme pour le pétrole mais plusieurs marchés,
lorsque le prix du gaz est de 1 sur le marché aux États-Unis il est
proche de 5 en Europe et près de 8 au Japon. En Europe les prix du gaz
sont dépendants du prix du pétrole tandis qu’aux États-Unis ils ont
conquis cette indépendance grâce aux gaz de schiste. Nul doute que les
prix européens seraient sensibles à cette tendance baissière si
l’Europe devenait productrice.
Aux États-Unis les gaz de schiste sont exploités et ils permettent
l’indépendance gazière du pays : parti de zéro dans les années 90 ils
représentent déjà 14% de la production nationale et seront à près de 50%
dans 20 ans. Cette progression réside dans le délai de mise en
production après découvertes, il est de quelques mois au lieu des 5 à
10 ans pour les gisements conventionnels. Ajoutons immédiatement
qu’Outre-Atlantique les concessions accordées sont de 3 à 5 ans et que
chacun cherche à produire beaucoup très rapidement pour maximiser la
rentabilité des investissements sur un temps aussi court. Dans cette
configuration américaine, les coûts d’exploitation sont en moyenne 1.6
pour les gaz de schiste lorsqu’ils sont à 1 pour les gisements
conventionnels.
Outre-Atlantique, les hydrocarbures de schiste permettent non seulement
la création de 400 000 à 650 000 emplois selon les estimations, une
baisse de la facture énergétique notamment électrique parce qu’engendrée
par des turbines fonctionnant au gaz, un affaissement de la
consommation de charbon, un dynamisme industriel et l’espoir d’une
ré-industrialisation mais aussi ils permettent d’envisager une
indépendance énergétique voire l’exportation d’hydrocarbure. Revers de
la médaille, la baisse des prix du gaz est telle que pour raison
économique des sociétés pétrolières réduisaient récemment la production
de gaz voire elles étaient obligées de réduire la valeur bilancielle de
certains actifs gaziers et privilégiaient la production de pétrole de
schiste.
L’ensemble est directement lié à la combinaison d’anciennes techniques : le forage horizontal et la fracturation hydraulique.
Dernier élément de ces généralités, le charbon reste la première ressource énergétique mondiale viennent ensuite le pétrole puis le gaz (environ 20%) mais la part de ce dernier ne cesse de croitre. Du coté de l’offre, les estimations de gisements de gaz non-conventionnels cités plus haut permettraient de doubler les ressources, les gaz de schiste représentent le plus gros potentiel.
L’exploration débutait en Europe d’une manière
rationnelle en Pologne, au Danemark : c’est- à-dire forage d’un puits
d’observation puis une décision politique sera prise en fonction de ces
résultats.
En Europe les coûts de production d’hydrocarbures de schiste seraient
différents et vraisemblablement supérieurs, le modèle américain n’est
pas envisagé, on donnerait du temps au temps : une industrie est à créer
et les coûts environnementaux et sociétaux seront supérieurs, les
concessions seront plus longues, 10 à 20 ans, laissant le temps aux
hydrocarbures de migrer plus naturellement vers les têtes de puits et
évitant ainsi les fracturations excessives.
En France, pays leader mondial dans
l’industrie parapétrolière, c’est l’inverse : des espoirs sont fondés
pour trouver du pétrole de schiste dans le bassin parisien et du gaz de
schiste dans le sud, mais la prospection est reportée. Si
l’exploration d’hydrocarbure de roche mère était permise en France, si
elle confirmait l’existence de gisements économiques pourrions-nous dire
oui aux hydrocarbures de schiste ? Pourrions-nous conquérir une
sécurité énergétique, à hauteur de par exemple 20% ou 50% de nos besoins
et économiser et 15 milliards, 35 milliards ou 50milliards d’euros
chaque année ? Pourrions- nous, peut-être, créer des emplois comme aux
États-Unis, les chiffres de 100 000 à 200 000 emplois directs sont
avancés ? Pourrions-nous produire ces hydrocarbures par exemple au coût
de 60 euros le baril alors que nous l’achetons 100 euros sur le marché
international ? On ne sait pas et la France doit continuer de compter
sur les pays producteurs et accepter d’en payer le prix sous prétexte
que cette production est plus efficiente.
Pourtant peu importe que le coût de production de l’huile de schiste
français soit de 60 euros le baril ou 80 euros car ils seraient autant
d’euros de formation, de salaire, d’investissements de recherche qui
irrigueront l’économie de notre pays. La répartition du reste de la
rente entre sociétés privées, collectivités locales et État, suivant
les règles du nationalisme des ressources abondamment exposé sur ce blog
serait un débat très intéressant.
Mais nous n’en sommes pas là. En France l’exploration et la production d’huile et de gaz de roche mère sont interdites. C’est pourquoi les ingénieurs reprennent la parole et tente l’objectivité des faits à propos de la fracturation hydraulique, la qualité de l’eau, la chimie, la tectonique et les éventuelles pollutions. Invariablement, cette tentative de dialogue, devient polémique car elle n’est pas démontrée sur le sol national et elle se heurte à l’idéologie politique, dernier aspect abordé en conclusion.
Description géologique
La roche mère définit une couche géologique où des dépôts organiques se
sont décomposés. Selon le type de matière organique, la profondeur, la
température (elle augmente de 30° par Km) et la pression, les matières
organiques se sont transformées en huile, en gaz, en bitume et en
charbon.
L’épaisseur de la roche mère est très variable : quelques dizaines de mètres pour le Bakken dans le Dakota du Nord (20 mètres), quelques centaines de mètres couvrant plusieurs couches géologiques pour les schistes du bassin parisien (environ 200 mètres), plus d’une kilomètre dans le nord de l’Angleterre, des milliers de mètres sous les eaux angolaises …Comme leur épaisseur, la profondeur des roches mères connues est également variable : de la surface à 2000 et 4000 mètres pour les mieux connues mais d’autres sont beaucoup plus profondes.
Parfois les hydrocarbures contenus dans cette roche mère migrent naturellement vers la surface de la croute terrestre comme dans certaines régions du Moyen-Orient où ils affleurent. Pour d’autres, l’ascension sera stoppée par une roche imperméable que l’on appelle couverture. Sous ces roches de couverture, des hydrocarbures s’accumuleront naturellement dans une roche réservoir : ce sont les gisements conventionnels. Les plus accessibles sont exploités mais ils en existent de beaucoup plus profond puisque l’on recule chaque jour les profondeurs de forage, sans compter les performances en milieu marin.
D’autres roches mères ne permettent pas, ou
avec difficulté, cette migration et elles retiennent prisonnières du gaz
et du pétrole : ce sont les gisements non-conventionnels :
– Les hydrocarbures de schiste : huile et gaz.
– Les hydrocarbures de charbon emprisonnés dans un mélange d’eau et de charbon,
– Les hydrocarbures ultra compacts (tight gaz,tight oil)enfermés
dans des couches géologiques très imperméables qui limitent la
circulation des hydrocarbures.
Nous parlerons ici des premiers, les hydrocarbures de schiste, sans aborder les deux autres.
En théorie, les gisements conventionnels
surplomberont les gisements non conventionnels mais cette description
simplifiée de gisements est bien différente dans la nature : des
mouvements tectoniques ont désordonné ces constructions et parfois la
configuration des sous-sols ressemblera plus au grand désordre d’un
vaste mouvement brownien.
Tous ces gisements se différencient aussi par la nature des
hydrocarbures. Par exemple, le gaz restera en majorité du méthane
(entre 90 et 99%) suivi du propane, de l’éthane et du butane, le
pétrole cependant sera plus ou moins lourd, plus ou moins sulfuré …
Par rapport à ces gisements, la localisation des nappes phréatiques obéit à une constante : elles sont proches de la surface, en moyenne à moins de 500 mètres de profondeur. Tuons immédiatement un mythe à propos de ces nappes : elles se situent dans des zones de roches solides où l’eau trouve des porosités et ne se présentent donc pas comme des rivières ou des lacs souterrains à la Jules Verne. A faible profondeur ces aquifères seront potables, plus profonds ils seront d’une salinité parfois supérieure à l’eau de mer.
Tuons au autre mythe. Les forages pétroliers et gaziers qui traversent les nappes phréatiques avec des tubes étanches ne les polluent pas. Dans le cas contraire elles seraient déjà toutes en très mauvais état avec d’abondantes marées noires souterraines. Cependant, pour éviter des communications entre aquifères et schistes trop proches, aux États-Unis il devient impossible d’exploiter les gisements de gaz de schiste s’ils sont à moins de 300 mètres en dessous des nappes phréatiques.
Dernier élément de ces généralités, l’exploitation des hydrocarbures de schiste est directement lié à la combinaison d’anciennes techniques : le forage horizontal et la fracturation hydraulique.
Forage horizontal
Le forage horizontal est un outil exceptionnel déjà utilisé dans les
gisements conventionnels. Il permet d’exploiter des poches
d’hydrocarbures contigües préalablement modélisées sur ordinateur sur
des distances impressionnantes. Par exemple en mer au large de
l’Afrique, sous 4 kilomètres d’eau et 2 kilomètres de roche et à la
suite d’un forage horizontal de plusieurs kilomètres, un trépan équipé
d’une microcentrale inertielle rejoindra successivement les unes après
les autres plusieurs poches de gaz ou de pétrole. Un récent record est
un forage horizontal de 13 kilomètres avec une précision inférieure à 50
centimètres. On est loin du forage à l’aveugle.
Pour les gaz de schiste, le forage peut s’organiser dans la roche mère sous la forme de puits horizontaux de 1 à 2 kilomètres disposés en étoile à partir d’un point de production. Cette méthode réduit l’emprise au sol et l’impact sur le paysage. Mais, à ce jour, il n’est pas envisagé de forer à la verticale d’Orly pour exploiter horizontalement d’hypothétiques poches de d’huile situées dans la roche mère à 3 ou 4 kilomètres de profondeur dans un périmètre reliant les Champs Élysées aux tours Total ou Gdf–Suez dans le quartier de la Défense.
Fracturation hydraulique
La fracturation hydraulique est utilisée depuis 65 ans dans le monde
entier, les applications sont nombreuses. Elle complète la fracturation
sismique naturelle qui permit à certains hydrocarbures de quitter la
roche mère pour former les réservoirs conventionnels ; elle connecte des
fracturations naturelles entre elles et accroit la conductivité autour
du puits pour y drainer le pétrole ; dans des sous-sols sableux elle
compactera le sable autour du puits.
En Mer du Nord le champ offshore norvégien d’Ekofisk découvert en 1969, est entré en production en 1971, il fonctionne aujourd’hui et fonctionnera pendant de nombreuses années. Tous les puits de ce champ, plusieurs centaines, ont été systématiquement fracturés hydrauliquement, et aucune pollution de ce fait n’a été observée. Aux États-Unis plus d’un million de puits sont hydrauliquement fracturés depuis 1947. En général dans les gisements conventionnels la portée de la fracturation est de 25 mètres à 30 mètres. En France, il y aurait plus de 6000 puits et la fracturation hydraulique y a été pratiquée depuis de nombreuses années
Pour les hydrocarbures de schiste la
fracturation hydraulique se réalise le long des forages horizontaux
suivant une fréquence qui doit s’adapter au milieu géologique de la
roche mère. Si cette dernière est perméable, le liquide de fracturation
fuit dans la formation et ne peut que difficilement former une
surpression de nature à faire « craquer » la roche sur une grande
distance. Au contraire, si la roche est réceptive à la fracturation,
elle peut avoir un rendement optimal.
Les paramètres de la fracturation sont modulables. L’épaisseur de la
fracturation est de l’ordre de 1 à 2 millimètres mais peut atteindre 5
millimètres et sa portée est variable selon la perméabilité de la
roche ; au maximum le rayon horizontal de fracturation peut atteindre
de 250 mètres à 500 mètres et jusqu’à 100 mètres en vertical. Cependant
il n’est pas dans l’intérêt d l’opérateur d’avoir de trop longues
fractures : le rendement aux extrêmes sera marginal car elles ne seront
pas remplies de manière homogène du liquide de fracturation. A ce jour
les meilleurs paramètres sont ajustés pour des rayons horizontaux de 150
mètres en moyenne.
La géothermie profonde utilise aussi largement la fracturation hydraulique. Le principe est simple, injection d’eau froide à partir de la surface du sol jusqu’à -5000 mètres via un forage équipé d’une fracturation hydraulique verticale statique. En profondeur, l’eau se réchauffe au contact de la roche fracturée pour atteindre la température de 200 degrés. Cette eau chaude remonte ensuite en surface par d’autres forages, suivant un concept proche de la lixiviation in-situ utilisée dans certaines des mines d’uranium. Enfin, comme le circuit primaire d’une centrale nucléaire réchauffe un circuit secondaire pour alimenter une turbine vapeur, l’eau chaude remontant du sous-sol réchauffe un circuit secondaire et la vapeur ainsi créée alimentera une turbine électrique en surface. Une autre possibilité est de fabriquer un réservoir d’eau souterraine et de remonter directement cette eau chaude sans injecter de l’eau de surface.
Peut-on se demander pourquoi la fracturation hydraulique serait-elle dangereuse dans le cas des hydrocarbures de schistes mais bénéfique dans le cadre de la géothermie ?
Oui aux hydrocarbures de schiste, mais … grâce à l’exploration, nul doute que l’efficacité de la fracturation hydraulique progresserait au fur et à mesure que nous connaitrions la nature exacte du sous-sol.
Eau
Il existe trois principes valables pour les champs conventionnels comme des champs non-conventionnels :
– L’injection d’eau est une pratique quasi universelle dans les
champs de pétrole à travers le monde. L’eau ne se mélange pas à l’huile,
elle est injectée pour repousser le pétrole hors des réservoirs.
– L’eau utilisée ne doit pas être de l’eau potable ni de l’eau de
rivière, de lac… nous ne pouvons le permettre. Elle devrait être de
l’eau non potable émanant par exemple d’aquifères souterrains profonds,
de l’eau de mer (comme dans certains champs du Moyen-Orient ou, dans un
autre domaine, dans des mines de cuivre et d’or sud-américaines), des
eaux usées, de l’eau retraitée…
– Un champ produira des hydrocarbures et plus ou moins d’eau en
provenant non pas de nappes phréatiques mais d’aquifère plus profonds
naturellement en contact avec le réservoir d’hydrocarbure :
> Parfois aucune eau ne remonte parce que les
roches sont hydrophiles et propices à la rétention capillaire, comme une
éponge, après avoir relâché en masse les hydrocarbures. Dans ces
phénomènes d’hystérésis capillaire il faudrait plus d’énergie pour
retirer l’eau que pour l’injecter. Elle reste donc au fond.
> Parfois, de l’eau de fracturation remontent après
les premiers jours qui suivent la mise en production du puits. Aux
États-Unis entre 30 et 60% de l’eau injectée est ramenée en surface.
> Parfois 100% de l’eau injectée est remontée,
c’est le cas du gisement Nord Américain de Barnett, et par la suite de
l’eau supplémentaire est produite naturellement, jusqu’à trois plus dans
le Barnett.
Cette eau mélangée aux hydrocarbures sera traitée en centrifugeuses pour enlever les particules solides et en stations d’osmose inverse pour enlever les composés chimiques indésirables avant de trouver une utilisation par exemple dans l’industrie, l’agriculture ou bien d’autres forages. Peut-on différencier l’eau injectée de l’eau naturelle lorsque l’eau produite est remontée en surface ? Oui sa signature est différente, … et cette analyse sera utile aux sociétés de traitement d’eau pour permettre sa réutilisation.
Les quantités d’eau utilisées dans les hydrocarbures de schiste sont comparables à celles utilisées dans d’autres industries mais inférieures à celles utilisées dans les mines de charbon. Au moment de la fracturation, la consommation d’eau est importante. Par la suite, au cours des 10 à 20 ans pendant lesquelles les hydrocarbures migreront naturellement vers la tête de puits, le champ d’hydrocarbures ne consommera plus d’eau (sauf fracturation ponctuelle en cas de colmatage).
Oui aux hydrocarbures de schiste, mais… l’exploration permettrait d’anticiper le volume d’eau qui serait produit et son utilisation future qui resterait un élément sociétal essentiel.
Additifs
La surpression hydraulique suffit à fracturer la roche souterraine mais
les anfractuosités se refermeraient immédiatement sous l’effet de la
pression souterraine s’il n’y avait pas simultanément une injection de
sable.
Le sable est cependant insuffisant car sous l’effet de la pression et
de la gravitation il s’accumulerait à l’entrée des fractures et
formerait un bouchon déjouant la migration des hydrocarbures. Ce verrou
est évité à la faveur d’une viscosité accrue de l’eau elle-même induite
par l’ajout d’additifs dont la composition évoluent en fonction du
milieu souterrain : polymères issus eux mêmes de la pétrochimie,
briseurs de polymères qui les casseront par réaction chimique retardée
en fin de chaine, antibactériens pour éviter la corrosion des
installations souterraines… Arrêtons-nous là !
Outre-Atlantique, la fracturation injecte en général 90% d’eau, 9.5% de sable et 0.5% d’additifs et le site www.Fracfocus.com indique précisément puits par puits de multiples renseignements dont l’identité de l’exploitant et les additifs injectés.
En France le forage d’exploration apporterait la connaissance de la
nature de la roche et ce n’est qu’après que le fluide de fracturation
pourrait être élaboré. Il pourrait-être très différent de celui utilisé
aux États-Unis : par exemple plus d’eau moins de sable et moins
d’additifs : par exemple environ 95% d’eau, environ 5% de sable et un
solde de 0.14% d’additifs agroalimentaires (telle la gomme de guar des
glaces à la crème), les polymères provenant de la pétrochimie, les
bactéricides habituels dans l’industrie pétrolière…
Un mot sur les bactéricides. Ils sont
importants dans les champs conventionnels et non conventionnels
vieillissants car ils évitent la prolifération de bactéries qui
provoqueraient le dégagement de sulfure d’hydrogène. Ce gaz qui n’est
pas initialement dans les réservoirs a un très fort pouvoir corrosif
sur les tuyaux de forage et il est mortel à très faible dose.
Ce problème de sulfure d’hydrogène et de bactéricides est donc vieux
comme l’industrie pétrolière et à ce sujet, peut-on se demander si la
France de l’après guerre avait moins peur ou bien faisait-elle plus
confiance à la science et à ses ingénieurs que celle nous de nos jours ?
Oui, certainement, sinon l’exploitation bénéfique pour notre pays des
très sulfurés gisements de Lacq depuis les années 50, et qui viennent de
fermer cette année, n’aurait jamais été permise avec les lobbies
actuels.
Un dernier mot sur la remontée de ces additifs vers les couches supérieures et les nappes phréatiques. Elle est improbable.
Oui aux hydrocarbures de schiste, mais… l’exploration permettrait à la recherche de progresser et d’adapter ces additifs aux différents milieux. Des brevets sont déposés et, pour autant que l’on si intéresse de manière raisonnable, la transparence sur cette chimie souterraine sera aussi un élément sociétal essentiel.
Tectonique
La fracturation hydraulique provoque des microséismes en général
négligeables, l’équivalent de la chute d’un livre de votre bureau mais à
3 kilomètre sous terre. Toutefois une mauvaise gestion de ces
impulsions peut délier des contraintes tectoniques et c’est pourquoi les
autorités doivent refuser de délivrer des permis d’exploitation s’ils
entourent et pénètrent une zone sismique sensible, une faille majeure,
une zone fragile ou à protéger. Si ce travail de prévention n’est pas
réalisé il peut arriver que des séismes dont la responsabilité incombe à
l’activité humaine surprennent par leur amplitude. En voici trois
exemples.
– Entre 1 et 2 sur l’échelle de Richter en
2011, en Angleterre, directement lié à la recherche de gaz de schiste.
La cause était une insuffisance des repérages géologiques en zone
sensible.
– Au niveau 3 sur l’échelle de Richter, en 2011, aux États-Unis en
Ohio, directement lié à des sur-stockages d’eaux usées dans des puits
poubelles. Ce cas est emblématique d’une mauvaise gestion de projet :
connaissance incomplète de la géologie d’une part et d’autre part
gestion inapte d’eaux usées que l’on rejette dans le sous-sol au lieu
de les traiter en surface pour une utilisation ultérieure.
– Supérieur à 3 sur l’échelle de Richter, en 2006, en Suisse à Bale
directement lié à l’industrie de la géothermie qui injectait par un
puits vertical trop d’eau sous pression à 5000 mètres sous terre. Ce cas
est emblématique d’un excès de fracturation hydraulique par la
géothermie profonde.
Des modèles numériques permettront aux opérateurs d’éviter ces incidents sismiques. La cartographie souterraine permettrait aux deux utilisations de la fracturation hydraulique, verticale statique géothermique et horizontale itinérante pétrolière de progresser et d’anticiper les comportements mécaniques du sous-sol.
Oui aux hydrocarbures de schiste, mais… avec la modélisation de la sismique, des anomalies géologiques, des sondages, des coupes géologiques, des puits, des fluides, des contraintes industrielles et naturelles… et l’anticipation de leurs interactions sur la géomécanique des roches. Là encore l’exploration est essentielle et la recherche progresse.
Fuite
Les fuites de puits sont des accidents industriels comme il en a existé
pour BP à Macondo, ou bien les grands échouages de pétroliers en
Bretagne Nord, ou encore les explosions d’usines de pile au lithium … A
chaque fois l’imprudence, le non respect des procédures sont en cause.
Si l’ingénierie des puits a été bien faite, si le matériel utilisé est
homologué, si les procédures sont scrupuleusement appliquées, si les
délais de remplacement de pièces usagées sont respectés, alors le risque
de fuite et d’accident est quasi nul.
La seule hypothèse de fuite à faible débit résulterait de tubes de forage imparfaitement homologués, qui, s’ils ont une faiblesse, se déformeraient dans la partie supérieure du puits sous la double contraintes d’une très forte pression du liquide fracturation et du choc thermique lié à l’écart de température entre celle du liquide injecté et celle, plus élevée, des tubes en profondeur. Dans ce cas, si des ruptures mécaniques et des micro-fuites, qui n’auraient pas été identifiées par l’opérateur pendant les deux à trois mois de fracturation hydraulique précédant la mise en production du puits, se produisent, il pourrait arriver que le début de production du puits s’accompagne d’une fuite de gaz ou de pétrole en surface ou vers des couches intermédiaires souterraines. Pour autant les conséquences ne sont aucunement comparables avec celles des puits conventionnels.
Par exemple l’effet de surprise fut total chez BP lorsque le réservoir classique à très forte pression et très grande perméabilité de Macondo subissait son accident de « levée » durant l’opération de forage. Avant mise en production la production « naturelle » de Macondo, sans équipement de production en tête de puits, était d’environ 50 000 barils par jour. Hors de contrôle, il provoqua l’énorme marée noire de 2010.
Ce n’est pas la même pression ni les mêmes débits dans les puits de schiste. Au mieux, une fois fracturés, les meilleurs puits produisent très largement moins de barils par jour mais avec déjà tous les équipements de production et de sécurité déjà en place pour le contrôler. La roche mère étant peu perméable la question d’une perte de contrôle du flux « à la Macondo », est peu crédible.
De plus la recherche est en marche, des logiciels de modélisation dynamique de résistance des matériaux sont utilisés pour modéliser l’architecture et l’intégrité des tubes du puits avant, pendant et après la fracturation. Ce domaine de résistance des tubes est un domaine de pointe éprouvé par des décennies de production même s’il mérite comme toute installation industrielle l’attention du régulateur et la progression des normes.
Conclusion
Les hommes d’état décident de doctrines matières premières pour la
production de ressources naturelles nationales : c’est-à-dire qu’ils
dirigeront leurs pays vers l’indépendance énergétique, l’indépendance
minérale et l’autosuffisance alimentaire en privilégiant la technologie à
d’autres moyens. A l’inverse, ils relèveront le défi des dépendances
choisies si leur territoire comporte des faiblesses dans l’un de ces
trois domaines.
Ils guideront cet ensemble de manière raisonnable et équitable en prix et en disponibilité, pour le compte de populations quelles soient urbaines ou rurales et les nations se différencieront en fonction de ses choix doctrinaux. Il n’y a pas de « modèle matières premières » meilleur qu’un autre, mais des modèles différents adaptés aux contingences et qui évoluent dans le temps en fonction du progrès et des opportunités. Il est naturel que ces choix appartiennent au débat tout comme il est normal en démocratie que leurs conclusions s’éloignent des visions des minorités même si c’est le combat d’une vie. Et, pour en revenir à la France, il peut être utile de visionner jusqu’à la dernière minute le documentaire historique « Tous au Larzac » et comprendre cette trajectoire tout autant respectable qu’une autre.
Le débat énergétique est souhaitable en France, tout comme le sont notre débat agricole –prendre conscience de nos forces- et notre débat des matières minérales –prendre conscience de nos faiblesses-. Par conséquent, le citoyen doit faire confiance et écouter l’ingénieur qui explique les techniques ; il doit aussi se souvenir que le principe de précaution doit vivre en harmonie avec des découvertes scientifiques survenues par l’expérimentation, la recherche, le hasard et parfois la chance. Il doit enfin refuser le pseudo débat qui sombre en controverses contreproductives parce que non seulement le futur dialogue est précédé de conclusions mais aussi parce que celles-ci privilégient souvent une solution à l’exclusion d’une autre sans envisager les bénéfices de l’une et de l’autre : c’est par exemple la solution des énergies climatiques sans plus aucun hydrocarbure et, hélas, jamais la conjonction hydrocarbures et énergies climatiques. Autant de questions que les nations très dépendantes ou pauvres classifieront d’interrogations de pays riches face à l’urgence de leur développement.
Certes l’homme quittait l’âge de pierre pour celle des métaux, puis de la vapeur, des hydrocarbures du nucléaire et enfin celle des énergies climatiques. Il n’a pas cessé pour autant d’utiliser des pierres notamment pour construire son habitat, la vapeur pour ses centrales électriques, les hydrocarbures pour de multiples usages et les métaux et minéraux pour construire des éoliennes et des panneaux solaires. A la longue, il sélectionnera le meilleur de ces dernières énergies climatiques au fur et à mesure que le climat se modifiera …
Le décalage entre réflexion politique et progrès scientifiques est naturel, il n’est pas une fatalité.