Sans besoin d’uranium minier, les déchets des centrales nucléaires d’aujourd’hui sont le combustible gratuit du nucléaire des 5 000 à 10 000 prochaines années. Qu’attendons-nous pour les consommer ?
In La Tribune 14/02/2022
Depuis deux ans nous connaissons une inflation, une perte du pouvoir d’achat de notre monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix.
Dans une mondialisation malade de la Covid, cette hausse était, dans un premier temps, sujette à la baisse de la production plus importante que la baisse de la consommation, puis elle s’amplifiait dans un second temps, alors que la forte reprise de la production se heurtait au monstrueux embouteillage des chaînes logistiques mondiales.
Inflation découplée
Résultat, l’inflation mondiale s’est envolée, mais de manière découplée.
Dans les pays producteurs, au départ des chaînes logistiques, elle restait basse : 2,5 % en Chine et négative au Japon. Mais elle était haute chez les importateurs : 7 % aux États-Unis, 5 % en Europe et avec des variations remarquables, 3,1 % en Allemagne, mais 1,6 % en France.
Basse en Asie, haute en Occident, l’inflation a découplé parce que pour la première fois depuis très longtemps nos pertes de souverainetés et les mauvaises dépendances contenues dans nos Solidarités Stratégiques ont eu un impact sur l’inflation.
Désormais, d’aucuns prévoient que l’inflation mondiale continuera sa hausse. Ils font l’erreur de ne pas reconnaître que l’année 2021 a cumulé tous les risques économiques, et que les indicateurs s’améliorent à l’image des flux des puces électroniques. L’impact d’éventuelles guerres en Ukraine ou à Taïwan, ce que personne n’espère, ne sont pas mesurées, sinon les prévisions seraient effectivement à deux chiffres, car quid des exportations russes de pétrole, de gaz, de métaux et des produits agricoles ukrainiens?
À l’inverse, d’autres calculent que l’inflation covidienne n’était que transitoire et disparaitrait au profit d’une déflation lente et homogène, au fur et à mesure que la logistique mondiale se normalise. C’est également une myopie, puisque le Covid et les COP ont changé le monde sous deux aspects.
Souveraineté et inflation
Dans les prochaines années l’Asie restera le front de l’industrie, avec par exemple la voiture électrique. Sauf accident de parcours, comme celui de la viande de porc en Chine, l’Orient doit continuer à connaître des prix modérés, dès que l’énergie électrique sera redevenue sous contrôle.
Grâce à la Communauté européenne, sous l’impulsion de Thierry Breton, l’Europe affiche des plans industriels intéressants dans le but de renforcer sa souveraineté structurelle et affaiblir les impacts négatifs des dépendances de la mondialisation. Ces efforts pourraient être soutenus par une production électrique redevenue indépendante comme indiqué plus bas. L’Europe renouerait alors avec un modèle de souveraineté déflationniste de long terme.
De leur côté, les États-Unis aimeraient avoir des bretons à leur tête. Ils sont les meilleurs pour maîtriser les têtes dures, qui sont nombreuses au Sénat à être hostiles au « build back better » de Joe Biden. Cette opposition est fatale à l’idée d’un accroissement de souveraineté étatsunienne et une inflation covidienne transitoire, mais favorable à une hausse des prix structurelle et durable. En conséquence, la FED augmentera ses taux d’intérêt, plus que le fera la BCE. D’ailleurs, les prix de l’or l’ont compris, ils sont toujours attentifs non pas aux discours des banques centrales chinoises ou européennes, mais à ceux du président de la FED.
Le résultat de cette première phase fondée sur le lien entre souveraineté et inflation indique que le découplage inflationniste de 2020/2021 entre les producteurs et les consommateurs, entre l’Asie souveraine et l’Occident en dépendance, s’orientera désormais vers une nouvelle désunion inflationniste, mais cette fois entre les États-Unis dépendants et l’Europe et l’Asie plus souveraines. Prévoir l’inflation européenne comme par le passé à la lumière de Washington sera une erreur ; l’Asie et l’Europe en recherche de souverainetés semblables et sans doute concurrentes devraient connaître des trajectoires d’inflations concordantes.
Environnement et inflation
Le second élément impactant l’inflation et qui a changé depuis deux ans concerne les COP et l’impact de l’environnement sur les coûts agricoles, énergétiques, miniers.
Après le tunnel inflationniste de la Covid et du bio, les prix des céréales s’ajusteront vers le bas, comme toujours grâce aux nouveaux emblavements ; avec toutefois la menace sur les coûts de production de nouvelles contraintes environnementales et du changement climatique. L’agriculture d’élevage, moins saisonnière, connait déjà des ajustements de prix cruels comme l’indique les démonstrations actuelles. Mais il est ici regrettable que les pouvoirs publics n’aient pas stoppé net les suicides d’agriculteurs en osant rebâtir des souverainetés financières agricoles.
Nucléaire et déflation
À la suite de différentes politiques, nous avons perdu notre souveraineté électrique. Les contraintes environnementales, géopolitiques et opérationnelles prévisibles abaissent le volume d’énergies fossiles disponibles bon marché et le supercycle pétrolier en cours prévoit le pétrole à 125 $ le baril. Simultanément l’accroissement d’électricité ENR non pilotable, affaisse encore notre souveraineté électrique et augmente l’inflation, comme l’indique l’épisode du gaz cet hiver.
Toutefois, la France et l’Europe ont une solution. Une électricité pilotable souveraine, bon marché, produite par la combustion des déchets des centrales nucléaires d’aujourd’hui. Parce que nous disposons de ce stock sur notre sol et qu’il élimine les besoins d’uranium minier pour les 5 000 et 10 000 prochaines années, ils sont le combustible gratuit du nucléaire de demain. Qu’attendons-nous pour le consommer ?
Fessenheim, le programme Astrid, les petits réacteurs modulaires, les EPR et demain les réacteurs à neutrons rapides, la souveraineté électrique française ne peut s’établir dans l’inconstance politique zigzagante autour des électriciens d’EDF en fonction des modes électorales. Comme l’écrivait une philosophe des manœuvres politiques : « Le mensonge est souvent plus plausible, plus tentant pour la raison que la réalité, car le mensonge possède le grand avantage de savoir d’avance ce que le public souhaite entendre ou s’attend à entendre. »
Innovation et déflation
Pour des raisons stratégiques, l’industrie lourde consomme plus de métaux que par le passé : notre monde bascule rapidement d’une dépendance aux hydrocarbures vers une dépendance envers les métaux nécessaires à la production, le transport, le stockage, et la consommation électrique dans des générateurs, des connecteurs, des chargeurs, des batteries et enfin des moteurs. Logiquement, cette demande industrielle guide les prix des métaux vers le haut, mais sans excès historique à ce jour.
Toutefois, fidèle à la courbe de Phillips, l’inflation anticipée guette. La politique est inflationniste comme le démontre le débat constitutionnel chilien autour de taxations ou nationalisations des mines de cuivre ou de lithium. Les normes écologiques accroissent aussi les coûts miniers et métallurgiques : si l’électricité ENR non pilotable augmente dans les mines, le coût marginal augmente ; si l’hydrogène permet de produire un acier plus vert, celui-ci coûte plus cher. En outre, au rythme actuel de la production minière, 15 années seront nécessaires avant qu’un nouvel équilibre entre une offre et une demande de métaux n’abaisse leurs prix grâce à de nouvelles productions et du recyclage.
Mais, plus forte que la courbe de Phillips, la substitution industrielle est déflationniste parce qu’elle réduit la consommation. Ainsi, les coûts des véhicules électriques baisseront, car les progrès permettent déjà l’absence du cobalt du nickel dans les batteries et des terres rares dans les moteurs. Les « métaux rares » étaient bien une fake-news anti voiture électrique.
Entre ces forces opposées, l’Europe peut retrouver une souveraineté métallurgique et minière à hauteur d’environ 50 %, ce qui est énorme comparé aux 5 % actuels,
L’ensemble, le renouveau de la souveraineté industrielle européenne et une gestion positive de l’agriculture, de l’énergie et des métaux permettent de parier que l’inflation européenne ne dépassera pas en moyenne les 2,5 % pendant les 50 prochaines années.