In Les Échos le 30 11 2016
En Ariège la population est favorable à une mine de tungstène mais l’exploration n’est pas encore confirmée. En Côtes-d’Armor la population est défavorable à une mine sous-marine mais l’exploitation a débuté!
Partiellement hérités du précédent ministre des finances, le gouvernement hésite dans deux dossiers industriels.
Le premier concerne l’Ariège et l’indépendance européenne en matière de tungstène.
Ce métal est utilisé dans de multiples activités industrielles ; la Chine est le premier et quasiment unique producteur; la France dispose de gisements riches, peu couteux et inexploités. L’un d’entre eux est situé à Salau en Ariège. Une mine y fonctionnait sans souci jusqu’à sa fermeture pour raison économique en 1984, les anciens mineurs en témoignaient le 18 mars 2016 à Saint-Girons . Le gisement est encore riche d’un tungstène abondant, le code minier et la mine durable y sont respectés, les procédures connues, l’expérience est déjà là, il n’y aura pas de surprise. L’aspect socioéconomique est également positif, une mine de proximité redynamisera l’emploi dans la vallée, la population locale y est favorable, le travail est rare dans la région. Les perspectives d’effets collatéraux sont aussi intéressantes car il est envisagé d’affiner le métal dans la vallée et éviter ainsi son exportation. Autant d’emplois supplémentaires. L’État des années 60 attentif à l’indépendance industrielle de la France dans de nombreux domaines n’aurait pas hésité une minute pour accorder le permis d’exploration et de le publier au journal officiel. Aujourd’hui le permis est signé par le nouveau Ministre de l’Industrie favorable au projet mais la publication au Journal Officiel est « en panne ». Pourquoi ?
En Côtes-d’Armor, dans la baie de Lannion un permis d’exploitation d’un gisement de sable coquillier sous-marin a été accordé, l’exploitation a débuté mais la population locale y est opposée pour plusieurs raisons. À la différence de l’Ariège, cette mine sous-marine n’est pas réellement une mine de proximité, la population locale bénéficiera difficilement de nombreux nouveaux emplois pour l’exploitation ou pour le traitement ultérieur du minerai. L’aspect socioéconomique de proximité ne semble pas aussi positif qu’à Salau.
La population craint également pour les emplois touristiques et de la pêche car il s’agit d’une mine sous-marine à ciel ouvert ou plutôt « à mer ouverte ». Les très nombreux emplois du tourisme ne seront-ils pas concernés si le sable retiré au fond est remplacé par celui des plages de la baie de Lannion ? Moins de sable sur les plages, moins de tourisme, moins d’emplois ? Les emplois de la pêche seront-ils concernés si la plume de sable de l’extraction portée par les courants se redépose plus loin en y étouffant la faune et la flore de façon durable ? Moins de ressources, moins de pêche, moins d’emplois ? Inversement la zone d’extraction a-t-elle une chance d’être recolonisée par la flore et la faune si l’extraction atteint le socle marin ? Mais si un minimum de sable coquillier est bien laissé au fond -comme cela est demandé-, les études menées en Manche Est n’indiquent-elles pas une très lente réimplantation d’espèces parfois allochtones ?
Ces questions ont été largement agitées et il est nécessaire de se
rapprocher des faits à propos de l’évolution du biotope marin : que
disent les nombreux comités de suivis d’autres gisements de sable
coquillier épuisés mais identiquement exploités au large de la Bretagne
Nord et Sud, par exemple celui du gisement de la Horaine au large de
l’île Bréhat ? Que disent-ils avant que l’exploitation fut réellement
règlementée depuis 2006, et après ? Comment est aujourd’hui caractérisé
l’état de la ressource par les pêcheurs après tant années d’exploitation
? Si à l’origine ces documents n’ont pas été fournis aux populations
pour les informer, c’est probablement une erreur qui interroge ; tout
comme serait une forte méprise que des forces politiques enfermées dans
leurs sectarismes ou bien leurs alliances ne les aient pas exigés dès
l’origine.
Bien que le sable coquillier ne soit pas une substance visée par le
code minier (le code minier sous-marin existe-il vraiment ?), cette
activité sous-marine est partiellement encadrée par des procédures du
code minier terrestre. Mais, cet emprunt est limité. Quid de
l’inventaire des faunes et des flores sous-marines avant exploitation
pour réimplantation après exploitation ? Cet inventaire quantitatif et
qualitatif a-t-il était fait en baie de Lannion ? Savons-nous
réimplanter ces espèces sous-marines, les mêmes et aux mêmes endroits
après exploitation comme c’est le cas pour les mines terrestres telle
que celle de Salau en Ariège? Les experts du milieu marin se sont-ils
catégoriquement engagés sur ces points ? L’autocontrôle de l’exploitant
est-il suffisant ? Quelles mesures socioéconomiques compensatoires sont
prévues vis-à-vis des habitants comme c’est le cas en Ariège? Quelles
mesures environnementales compensatoires sont prévues vis à vis de la
faune et de la flore?
S’il est exact qu’a l’inverse de la mine terrestre, la mine sous-marine
durable soit en expérimentation, un terrain inconnu en cours de
déchiffrement, toutes ces questions ont un sens.
En Ariège la population est favorable à une mine, elle sera durable, respectera le code minier, mais l’exploration n’est pas encore confirmée. En Côtes-d’Armor la population est défavorable à une mine sous-marine dont le code minier durable et sous-marin est un questionnement, mais l’exploitation a débuté.
Dans les deux cas les agents de l’État ont irréprochablement agi selon
les règles mais la dérive fut autre et la réflexion est désormais
bêta-bloquée. Comme l’écrivait Dostoïevski : « Voilà ce que c’est que
des réformes sur un terrain non préparé et par surcroît copiées sur les
institutions des autres, c’est pur préjudice ».
Non seulement emprunter partiellement des lignes du code à la mine terrestre pour le milieu sous-marin fut probablement une erreur mais celle-ci continue lorsqu’au lieu d’utiliser les outils à disposition pour confirmer l’Ariège et réfléchir aux Côtes-d’Armor, raisonnant en PUMA (Projet Utile Mais Ailleurs) la solution visée est une faute magistrale : fusionner le code minier et le code de l’environnement.
Conséquences : contradictions, blocages, rien ne se passe. Pourquoi ?