In La Tribune 10/06/2020
Il y a une chose à surveiller. Il est de bon ton pour les économistes de renom de prendre pour des idiots les investisseurs en or. Le métal jaune ne rapporte ni intérêt ni dividende. Ite missa est.
Et pourtant, à bien regarder la courbe des taux des bons du trésor américain depuis 1930, une très belle courbe en cloche s’offre à notre regard : de moins de 2 % vers 1942 à plus de 15 % au milieu des années 80, puis inférieur à 1 % de nos jours. Ce que les mêmes économistes ne nous ont jamais enseigné sur les bancs universitaires, c’est que cette courbe puisse s’enfoncer irrésistiblement vers les taux négatifs, que je nomme plus proprement des taux de désintérêts puisque le prêteur paye au lieu d’être rémunéré.
Le TIR, pierre angulaire des prix de l’or
Or, comme chacun sait, les prix de l’or sont moins influencés par les fondamentaux du marché physique -production, consommation, stocks- que par ses contraintes financières, valeur du dollar et taux d’intérêt réel (TIR). Ce dernier, le TIR, est la pierre angulaire des prix de l’or. Il est issu de l’opération de soustraction entre les taux d’intérêts et l’inflation du panier de la ménagère. Négatif, le TIR est favorable au cours de l’or, et inversement.
De nos jours, la première partie de la soustraction est atypique puisque c’est un chiffre négatif, c’est le taux de désintérêt ; la seconde partie, l’inflation de la vie réelle, est quasiment nulle car elle reste imperméable à la création monétaire inventive des autorités monétaires. Le problème est donc que cette soustraction n’a plus de sens puisque la baisse des taux n’est plus équilibrée par une hausse de l’inflation.
Par conséquent, la question que tout le monde se pose est celle-ci : où est passée l’inflation ?
Depuis la crise de 2008, et encore plus dans notre monde post-Covid19, la création monétaire par les autorités aura été d’une inventivité, d’un volume historique, extraordinaire et sans précédent. Mais ces liquidités sont restées cantonnées aux marchés de capitaux, elles y provoquent une inflation sans que cette dernière ne se transmette à l’économie réelle et par dilution y engendre également une hausse des prix.
Retour des indices boursiers à leur niveau d’avant-Covid
Deux exemples simples illustrent cette imperméabilité entre inflation des marchés de capitaux et celle de la vie réelle. Le premier fut les dettes peu couteuses contractées par les entreprises pour acheter leurs propres actions ou bien payer des dividendes. Dans les deux cas, l’opération soutenait l’inflation du prix des actions. Le second exemple est la situation d’aujourd’hui. Trois mois après le début de la pandémie, alors que dans la vraie vie les Etats sont endettés comme jamais pour rémunérer des millions de salariés au chômage, que les entreprises envisagent des plans sociaux et que les commentateurs parlent d’une crise économique et sociale, tout comme si rien ne s’était passé, sous l’effet des promesses de prochaines créations monétaires par les banques centrales, les indices boursiers retrouvent les niveaux de l’avant-Covid.
Conclusion : loin d’être absente l’inflation enveloppe les marchés de capitaux, à tel point qu’elle en devient invisible, l’étanchéité de ces derniers est telle qu’ils ne communiquent pas de hausse de prix au panier de la ménagère.
Comment le pourraient-ils d’ailleurs ? L’inflation des marchés de capitaux se transforme en gains et salaires pour une frange de la population sans pour autant que cette manne ruisselle avec abondance vers d’autres communautés. Ces dernières, pour différentes raisons, ont une épargne trop rare pour financer leur dépenses usuelles et prendre le risque supplémentaire d’investir. C’est le mal de notre époque, la déconnexion entre les hausses de revenus qui découlent de l’inflation des marchés financiers et la baisse de ceux en provenance de l’atonie voire de la déflation des marchés des biens et services. Il y a inflation sur le capital, mais déflation sur le travail. Post Covid, cette déconnexion aura rarement été aussi évidente.
Et l’or dans tous cela ?
La question de l’inflation est donc trouble comme une mauvaise cataracte, mais elle a un impact direct sur les prix de l’or, dont la situation actuelle est exceptionnelle car elle découle de cette imperméabilité entre marchés de capitaux et vie réelle.
Les prix de l’or n’ont plus besoin d’inflation pour s’apprécier, car avec des taux négatifs et une inflation nulle, voire une déflation, le TIR ne peux que guider l’or vers une hausse irrésistible. C’est pourquoi, à court terme, la stabilité de cette spirale financière projette logiquement une hausse des prix de l’once d’or de 1.700 dollars vers les 2.000 dollars. Ensuite, durablement troublée par le Covid-19, l’économie semble s’orienter vers des vrilles de nouvelles baisses de taux d’intérêts et de déflations, donc des TIR de plus en plus négatifs. Une hausse moyenne annuelle de cours de l’or de 10 % en est attendue.