In Le Monde 01/11/2020 (Mise à jour 4/12/2023)
Il est de bon ton chez les économistes de considérer comme des illettrés les épargnants qui placent leur pécule sur un support en or, car pour eux, comme cet actif ne rapporte ni intérêts ni dividendes, il serait tout simplement inutile.
Mais ces mêmes économistes n’ont jamais enseigné jusqu’à présent qu’en raison des décisions des banques centrales, les taux d’intérêt puissent devenir négatifs sur le long terme. Or nous ne maîtrisons pas les conséquences de ces « taux de désintérêt » sur la confiance des acteurs économiques, puisque le prêteur paye au lieu d’être rémunéré.
Ceci est particulièrement important pour l’or, car ses prix sont plus influencés par les taux d’intérêt réels (TIR) que par les fondamentaux du marché physique – production, consommation, stocks. Le TIR est le produit d’une soustraction entre les taux d’intérêt et l’inflation. Négatif, il est favorable au cours de l’or, et inversement.
De 1 050 à 1 900 dollars l’once
Depuis la politique accommodante conduite par les autorités monétaires, la première partie de la soustraction, « le taux de désintérêt », est de façon atypique négative. La seconde partie, l’inflation, est encore imperméable à la création monétaire des banques centrales et reste quasiment nulle, en conséquence le TIR guide les prix de l’or vers une hausse, également aidée par l’absence d’alternative crédible provenant des marchés obligataires et d’actions aux rendements érodés par la crise.
A cette configuration monétaire s’est ajoutée l’épidémie de Covid-19, avec l’augmentation colossale de l’endettement des pays qui ont soutenu leurs économies. En outre, de nouveaux investisseurs institutionnels sont désormais autorisés à investir en fonds d’or physique – les plus récents étant les fonds de pension chiliens. A cela s’ajoutent certaines hypothèses financières de sortie de crise qui encouragent les banques centrales à dynamiser l’économie en fixant leurs taux à − 3 %, pour rediriger la monnaie vers l’économie réelle. Toutefois, des taux à − 3 % avec un objectif d’inflation de 2 % donneraient un TIR à − 5 % et des prix de l’or inimaginables, multipliés par 3,5 ou plus.
En conséquence, depuis 2015, la cotation de l’or est passée de 1 050 dollars [environ 900 euros] l’once, à près de 2 100 dollars l’once en août 2020 et il s’était depuis stabilisé à 1 900-2 000 dollars l’once jusqu’ à récemment. Son cours est supérieur à 2 000$ désormais sous l’effet de 3 forces qui se sont ajoutées au TIR négatif: les cours du dollar, les achats des banques centrales qui seront en 2023 supérieurs à ceux de 2022 et aux spéculations liées à la valeur refuge de l’or particulièrement présentent aux Proche-Orient et Moyen-Orient.
Qui profite de cette hausse de l’or ?
Les épargnants ont largement investi dans les fonds qui permettent de suivre les cours de l’or, notamment aux Etats-Unis sous la houlette de Donald Trump et dans l’Union européenne perturbée par le Brexit : de 2 300 tonnes d’or détenues en 2017, ils en détiennent plus de 3 800 tonnes en 2020. La future dynamique de ces flux sera déterminée par le résultat de l’élection présidentielle américaine.
Les gagnants
Les propriétaires des mines d’or sont les seconds gagnants de la hausse de l’or. Leurs cours contrastent avec les autres actions. Depuis trois ans, les cours de nombreuses mines enregistrent une hausse de 50 %, contre une quasi-stabilité des grands indices européens. Elles devraient continuer de prospérer pour au moins trois raisons.
D’abord, les mines ne subissent pas une hausse de coût de production liée au prix du pétrole. Elles produisent de l’or à 500 dollars, 600 dollars ou 1 000 dollars, alors qu’elles le vendent à 1 900 dollars. Leurs marges opérationnelles sont au plus haut et les dividendes devraient suivre, renforçant ainsi leur attrait.
Ensuite, depuis plusieurs années, la dimension sociétale a un impact. Les réserves minières disponibles à l’exploitation sont de plus en plus réduites, comme le montre l’affaire de la « Montagne d’or » en Guyane. En conséquence, les entreprises propriétaires des mines n’ont d’autres choix que de fusionner pour pérenniser leur existence, à l’image de Barrick et Randgold ou bien de Saracen et Northern Star. D’autres fusions devraient suivre, et par un simple mécanisme de raréfaction du volume des actions de mines d’or disponibles sur les marchés, celles-ci devraient rester bien orientées.
Enfin, bien que le marché reste positif pour l’or tant que le TIR demeure négatif, si l’on s’intéresse à l’industrie on constate que l’or n’y sert pas à grand-chose. Mais, à l’inverse des monnaies, des obligations, des actions ou du bitcoin, la valeur de l’or qui sort de terre n’est attachée à aucun émetteur. L’or n’est la dette de personne. En période de temps troublés, cela compte plus que tout.