In Le Monde, le 21 juin 2019
La production minière est un éternel compromis entre protection de l’environnement et approvisionnement de l’industrie en métaux. Cette dualité a été récemment illustrée à Washington par deux propositions simultanées. Raul Grijalva, élu démocrate de l’Arizona à la Chambre des représentants, a demandé un durcissement des règles environnementales dans le code minier. A l’inverse, Lisa Murkowski, sénatrice républicaine de l’Alaska, et Joe Manchin, sénateur démocrate de Virginie-Occi.dentale, veulent légiférer pour encourager l’exploration minière : les États-Unis connaissent mieux la composition minérale de la surface de la Lune que la présence dans leurs propres sous-sols de matières premières utiles aux véhicules électriques, notamment le lithium et le cobalt. L’argument est bien connu : celui qui maîtrise la production du métal domine la filière industrielle en aval ; l’objectif est naturellement de sécuriser l’approvisionnement du constructeur de voitures électriques Tesla…
Ces deux initiatives parlementaires pro-environnement et pro-industrie sont-elles des pistes à suivre pour l’Europe et la France ? La réponse est oui, pour autant que nous les comprenions comme deux résolutions complémentaires et non pas opposées.
L’activité minière en Europe et en France n’en est plus à l’ère de Germinal, et elle doit le faire savoir en continuant de révolutionner ses critères environnementaux, sociétaux et de gouvernance (ESG) dans le cadre du prochain code minier. Il est exact cependant que le respect des normes de responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) est parfois impossible à mesurer à travers des indicateurs chiffrés lorsqu’il s’agit de droits de l’homme, de droits sociaux et des communautés ou de gouvernance. C’est en quelque sorte la littérature de la RSE qui s’invite à la table des chiffres de l’ingénierie et de la finance. Mais le but de ce mariage serait d’une part d’évaluer l’impact écologique des projets miniers, d’autre part de n’exploiter que les métaux stratégiques et critiques utiles aux politiques régaliennes et aux industries du futur, et donc d’endiguer le projets qui ne le sont pas.
Aussi pertinents pour une mine de tungstène en Ariège, une mine de lithium dans le Massif central ou une mine d’or de Guyane, les critères de cette nouvelle grille de lecture faciliteraient une décision politique basée sur des critères objectifs : l’écologie ne freinera pas l’industrie, et l’industrie restera respectueuse de l’environnement.
De plus, un pays reconnu pour sa maîtrise des sciences sociales (philosophie, anthropologie, sociologie, etc.) ne disposerait-il pas d’un avantage compétitif RSE sur ses concurrents dès lors que ses entreprises exploiteraient cette expertise culturelle ? En d’autres termes, une évaluation ESG française mesurant à sa façon l’inclusion des communautés, la gouvernance, l’impact environnemental ne serait-elle pas différente, et peut-être autrement pertinente, qu’une ESG américaine, japonaise, russe ou chinoise ?
Mais au-delà de cette nécessaire évolution de leur gouvernance, les entreprises minières françaises (et européennes) rencontreront au moins deux écueils. La première difficulté est géopolitique. Si l’écologie impose l’idée que la France n’est pas assez étendue pour exploiter des mines de lithium, l’Europe doit orienter sa réflexion géologique vers de nouveaux horizons… Car le pivot stratégique des ressources naturelles du XXIe siècle est la Russie. Devrons-nous adapter notre diplomatie à cet objectif, pour pouvoir explorer cet immense territoire aux ressources inexploitées ?
Le second obstacle est technique. La Chine a plusieurs temps d’avance dans l’accès aux métaux stratégiques, mais elle est également en amélioration constante dans l’abaissement de leurs coûts de raffinage et donc de leur industrialisation, ce qui lui offre une compétitivité exceptionnelle, tant dans le traitement du lithium, du nickel que celui du cobalt. Sans une alliance européenne débouchant sur des résultats technologiques tangibles, notre compétitivité minière restera insuffisante, ce qui ne manquera pas de générer retards et pertes de marché en aval dans des secteurs stratégiques, comme la voiture électrique.