L’acier n’a plus peur du nickel

L’alliage austénitique représente 58% des volumes des aciers inoxydables et le nickel est son composant déterminant. Toute variation du prix du nickel impacte durablement cette filière industrielle. En retour, cette dernière représente environ 67% de la consommation de nickel, les autres utilisations, sans être négligeables, sont la galvanoplastie, les alliages spéciaux, les batteries, la monnaie…

La production d’acier inoxydable était en baisse en 2009, crise oblige, mais elle a rattrapé son retard en 2010 à +25% et en 2011 à +3,3%. Et, si la demande asiatique est au rendez-vous, elle devrait confirmer une tendance de +4% en 2012.

Mais, malgré cette santé, les prix du nickel ne sont plus en hausse, ici se termine la guerre entre le nickel et l’acier. Au cours des hostilités, les deux belligérants n’eurent de rapports que par l’intermédiaire des marchés en 1987 en Europe, puis 20 ans après en Asie. Les guerres des prix, 1988-1989 puis 2007, furent détestables pour les aciéristes sans stratégie d’anticipation mais aussi pour de candides producteurs de nickel. Le métal porte le surnom idéal du « métal du diable ».

Les acteurs

Ce décor posé, trois acteurs de la famille nickel se mettent en scène : le nickel électrolytique, le ferro-nickel, et la fonte de nickel.

1. Le premier est le plus traditionnel, le plus pur et il est échangé sous forme de cathodes, de carré de 4 pouces, de billes ou de briquettes. Il est principalement le produit de gisements sulfurés (Russie, Australie, Canada) et il est négociable au LME s’il titre au minimum 99,8%. Il devrait être utilisé dans tout ce qui n’est pas acier inoxydable mais les aciéristes l’utilisent encore.

2. Le ferro-nickel est un amalgame expulsé en amont du cycle d’affinage. C’est un alliage de fer et de nickel dont le titre évolue en fonction des producteurs autour d’un pivot 75%-25%. En théorie, il peut être principalement produit à partir des gisements latéritiques (Nouvelle Calédonie, Cuba, Australie, Indonésie, Philippines, Brésil). Chacun comprend son avantage économique : le mineur évite les ultimes coûts de séparation du minerai de fer et du nickel, l’aciériste l’enfourne directement. Un schéma gagnant-gagnant.

3. Le plus récent est la fonte de nickel, plus rustique que le ferro-nickel, ils sont en concurrence l’un avec l’autre. Il permet au mineur de livrer à l’aciériste le minerai de fer et de nickel qu’il utilisera directement dans son processus intégré. Ces exportations de minerais indonésiens et philippins vers la Chine débutèrent à grande échelle en 2006. Mais début mars 2012 l’Indonésie confirmait l’interdiction d’exportation de son minerai de nickel sans une transformation locale préalable ; les Philippines s’interrogent sur le même sujet. Le nationalisme des ressources est en marche.

Dans ce contexte, la Nouvelle Calédonie est enfin devenue un pôle innovateur de la production et du marketing de la mine de nickel, avec près de 10 milliards de dollars d’investissements sur les projets Koniambo et Goro. Ses éléments les plus dynamiques et visionnaires exportent aussi du minerai, mais à leur manière, principalement à destination de la Corée en y étant copropriétaire d’une usine de transformation avec le leader mondial, l’aciériste Posco ; et depuis février 2012, de nouveau à destination de la Chine, avec en perspective un modèle identique au coréen avec le mineur Chinois Jinchuan. La « Grande île » avec tous ses producteurs n’est encore que la sixième région productrice mondiale avant de probablement égaler les plus grands dans moins de cinq ans.

A ce propos, je me souviens d’un débat à Norilsk Nickel Moscou à propos de la pérennité de la fonte de nickel. Quelques années plus tard, il s’avère bien que quelqu’un se trompait. Il persévère sans doute car en 2011 l’équivalent de nickel utilisé dans la production d’acier inoxydable chinoise à partir de fonte de nickel représente plus de la moitié de la consommation alors qu’elle était de zéro il y a 6 ans. La fonte est le troisième « producteur » mondial.

La maison nickel est en désordre à force de laisser faire une « économie administrée ». Du Pacifique aux glaces septentrionales, elle est submergée par des mouvements commerciaux et capitalistiques aussi bien browniens que délétères.

Les coûts

D’une manière générale la production de nickel électrolytique à partir des gisements sulfurés peut être entre 4 à 5 fois moins onéreuse qu’à partir des latérites. C’est pourquoi les mineurs du Pacifique sont restés dans une fraction économiquement acceptable de la courbe des coûts en offrant de la fonte de nickel.

En effet miroir, toute envolée outrancière des prix du nickel recule grâce à l’accroissement de la production de fonte, qui agit comme soupape du marché. Son coût de production chinois est un clapet de secours pour les aciéristes et le coût marginal qui déterminera la rentabilité des mines traditionnelles équipées d’usine d’affinage. Plus il est élevé plus les mines classiques seront rentables et inversement : certaines seront en grande difficulté.

De plus, le coût environnemental de la production de fonte de nickel en Chine est élevé, notamment lorsque l’énergie utilisée est le charbon. C’est pourquoi la préférence est à la concentration industrielle et aux fours électriques dont les coûts s’améliorent par l’émergence de raccourcis entre producteurs d’électricité et grands consommateurs.

Cependant, cette cannibalisation entre trois produits nickel – la gangrène des mineurs, l’atout des aciéristes – pèsera sur l’émergence de nouveaux projets miniers. Ces derniers, onéreux, ont une pérennité fragile quant bien même serait-elle assurée par des études dont l’expertise des marchés, hélas, serait restée consultative.

De leur coté, les investisseurs analysant les difficultés des mines classiques dispendieuses migreront vers les meilleures, ou bien vers un « mineur fonte de nickel ». Rarement une décision technique aura eu un tel impact sur un marché, c’est à la mesure de la fracturation horizontale pour le gaz de schiste.

Conclusion

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Sur le graphique, les niveaux de production d’acier inox souffraient (flèches rouges) des excès des prix du nickel des années 2006-2007. Après la crise mondiale, la production d’acier augmente de nouveau (flèches bleues) alors que les prix du nickel baissent : l’accroissement de la production de nickel était celle de la fonte de nickel grâce aux nouveaux mineurs à l’esprit ouvert qui répondaient avec opportunisme à de nouvelles dynamiques des marchés.

En outre, chez des aciéristes apparaissaient des substitutions de gammes d’aciers : des austénitiques nickelées étaient remplacées par des inox ferritiques ou martensitiques. Mais ce sont là d’autres histoires particulièrement chromées.

Aujourd’hui, l’acier n’a plus peur du nickel.
Publié dans Les Échos le 12 04 2012