L’élite, les ressources et l’intelligence économique

Quelque chose changerait-il en France ? Les réactions ont abondé après mon billet sur « Matières premières et intelligence économique ». Les mêmes interrogations se sont imposées dans la série de questions qui a suivi une comparaison des marchés des métaux précieux et de l’uranium que j’ai livrée à des consommateurs récemment. Est-ce la fin d’une méthode qui a souvent écarte de la stratégie industrielle les risques liés aux ressources naturelles ?

En effet, au cours de cette réunion, après avoir rappelé que dans le domaine des ressources naturelles la rareté est une notion qui ne devrait pas quitter celle du temps qui passe, et que seule la stratégie compte (les matières stratégiques parfois ne sont pas rares, les matières rares parfois ne sont pas stratégiques, et tout cela évolue dans le temps), j’ai formulé que la mise en œuvre d’une politique industrielle ici, l’état planificateur et centralisateur là-bas, nécessitent un adossement à une solide doctrine matières premières. Depuis longtemps, les relations d’états producteurs à états consommateurs ne sont plus des relations de marchés de matières mais de souveraineté. Pour les premiers, de souveraineté sur un sol ou bien un sous-sol et des stratégies de puissances qui y sont associées (les matières appartiennent au patrimoine national et parfois elles fusionnent avec l’identité des habitants du pays). Pour les seconds, de souveraineté sur une industrie, sur le développement de filières et des stratégies d’influences qui y sont associées. L’agriculture n’y fait pas défaut « PAC : Politique Agricole Commune ou Pénurie Alimentaire Commune ? ».
Cette règle est une étape essentielle dans le jeu concurrentiel contemporain des nations. Cependant à ma question : combien de fois par an se réunit le trio état-producteurs (importateurs)-consommateurs de votre filière pour en parler, je n’ai obtenu aucune réponse de la salle.

Nul ne doute que les alliances nécessaires obligeront les programmateurs de pensées à revoir leurs logiciels, notamment celui de la guerre froide obsolète depuis 20 ans. Justement, cette dernière rupture géopolitique, 1989, voit la suivante lui succéder sous nos yeux. Cette nouvelle séparation a pour conséquence une certaine inflation des prix des matières premières. Et cette rupture suscite une discussion complexe, où l’on compare, au niveau des états, d’une part la notion d’alliance, d’un partage planétaire des matières à la fois rationnel, organisé et, fait nouveau, parfois dégagé des enjeux de rentabilité immédiate (le versant des pensées démographiques-philosophiques-économiques voire spirituelles en est déjà surpeuplé) et, d’autre part, l’idée classique et ancienne de nations transformatrices et spécialisées qui s’affrontent dans la concurrence mondialisée. Comment y conserver ses avantages concurrentiels lorsque ces ressources et ces industries sont hautement stratégiques ?

Est-ce une discussion élitiste, de ressources naturelles, d’intelligence économique ou bien sommes-nous en déréliction ? Forgez-vous vous-mêmes une opinion à l’aide de deux évènements tirés de l’actualité de décembre 2009. Ils se repoussent l’un de l’autre mais ce débat les rassemble : un développement minier d’uranium partagé (Areva et Kepco s’associent) et une compétition industrielle au moyen orient.

Comme toute méthode, elle nécessite une large réflexion en amont car ce sont 250 milliards de dollars qui sont maintenant investis dans les actifs régulés de matières premières (agriculture, métaux, énergie) alors que nous ne dépassions pas 10 milliards de dollars au début du 21ème siècle. Plus que jamais cette conception réclamera une coordination ; elle surveillera la cautèle des fabricants de fluidités et de libertés économiques illégales ; elle nécessitera la domiciliation de sociétés de négoce international sur le territoire ; elle demandera des établissements financiers clairvoyants, perspicaces et aptes…

En résumé, les matières premières sont rentrées sur l’écran radar stratégique des nations, de toutes les nations.
Publié dans Les Échos le 01 10 2010