Uranium : Et si Angela atomisait l’Allemagne ?

In Les Échos le 22 08 2013

Il fait peu de doute outre-Rhin que la chancelière sera reconduite dans ses fonctions après les élections parlementaires du 22 septembre. Une question subsiste : avec quelle alliance gouvernera-t-elle ?
Dépassons cette interrogation pour analyser le résultat de ce scrutin à la lumière de la question « doctrine énergétique allemande ».

Sur la production

1. En 2012 la production électrique allemande était, à 45% à base de charbon (lignite 26%, charbon thermique 19%), 22% renouvelable, 16% nucléaire, 11% gaz, et le solde (6%) d’autres sources dont les centrales au fuel. Deux blocs progressent : le charbon et les renouvelables.
En 2030, l’objectif de production électrique renouvelable est de 35 %, mais dans le cas d’une victoire du SPD, l’objectif passerait de 35% à 45% puis 75% en 2030 ; l’hydroélectricité ayant atteint ses limites, les 35% seront atteints en augmentant les capacités d’énergies climatiques (vente, solaire) de près de 60%.

2. Post-Fukushima, la chancelière décida de précipiter le calendrier de fermeture des centrales nucléaires de 2022 et d’augmenter les énergies climatiques. Mais dans les faits ce sont des centrales électriques fonctionnant au lignite allemand, au charbon états-unien qui en tirèrent profit. Plus de renouvelables égale plus de charbon, le désarroi des anti-effets de serre était justifié.

3. Cependant, l’écoulement de la production d’électricité climatique intermittente qui est prioritaire avec profit garanti pour le producteur déclenche deux phénomènes. Lorsqu’il y a surproduction d’électricité solaire (comme cette année) ou éolienne les prix s’effondrent et les rentabilités des usines électriques conventionnelles (charbon, gaz, nucléaire) s’écroulent aussi bien en Allemagne que chez ses voisins européens. Ce surplus à un coût : lorsque ces trois sources d’électricité doivent secourir l’intermittence des climatiques, la crise exacerbant les problèmes, les centrales électriques conventionnelles deviennent non rentables et ont fermé parce qu’elles ont intégralement portées le fardeau de l’excès précédent. Un jour, très proche, il deviendra stratégique pour l’Allemagne de sécuriser l’existence de ces centrales de secours consommant lignite et charbon et probablement de les nationaliser sous une forme plus ou moins subventionnée.

4. Le point précédent est un problème de stockage électrique qui est cependant partiellement compensé lorsque le surplus, l’électricité fatale que personne ne consomme en Allemagne, est vendue à des prix parfois négatifs par exemple aux Pays-Bas et provoque la fermeture d’usines électriques locales ou bien en Suisse pour turbiner les STEP helvétiques. Par la suite, si la Suisse est vendeuse lorsque l’Allemagne connait une forte demande, son électricité éolienne ou solaire lui est revendue sous forme d’hydroélectricité helvétique.

5. Rémunérer le producteur allemand d’électricité climatique avec profit même en cas de surproduction, vendre cette production à zéro, voire à un prix négatif à un hydro-électricien helvétique, puis la lui racheter au prix normal, voire en pointe, représentent un surcoût : le consommateur allemand accepte de payer son électricité deux fois plus cher que le français.

Sur la demande

1. Les industriels allemands sont attachés à leur pays et ne le quitteraient qu’avec regrets. Ils n’acceptent pas des productions électriques intermittentes ou à puissance limitée, sans qu’elles soient adossées au charbon, au gaz ou au nucléaire. La croissance des centrales à lignite et charbon témoignent qu’ils préfèrent ce modèle défavorable à l’effet de serre, à la seule électricité climatique qui sur-endetterait sévèrement la rentabilité industrielle du Mitteleuropa.

2. Mais si l’industrie était contrainte et forcée d’émigrer à cause, par exemple, d’une énergie étrangère plus attrayante que le charbon (cf le coût de la future taxe carbone), pourquoi ne viendraient-ils pas chez nous, là où l’électricité est parait-il meilleur marché et décarbonée ? Est-ce parce que sans dynamisme, la France connait un coût du travail plus élevé ? Peut-être, mais surtout parce qu’il y a d’autres possibilités telle que la renaissance industrielle américaine grâce à ses hydrocarbures non-conventionnels.
C’est en creux le dilemme français : avec moins d’industrie depuis 20 ans avons-nous besoin d’autant de capacité de production électrique ? Comment mieux l’exporter dans un marché en surproduction intermittente ? Mais désindustrialisation signifiant moins d’emploi l’excédent électrique français est également l’un des atouts d’une renaissance industrielle.

3. La consommation électrique des ménages allemands est bien différente de celle des entreprises. Avec des habitats économes elle s’invente des circuits courts peu utilisés chez nous où s’expriment avec un coût élevé accepté des initiatives locales et déconcentrées dans les énergies climatiques, la biomasse, la géothermie… l’Allemagne est le premier pays au monde en surface photovoltaïque installée.

4. C’est une transformation sans précédent et aux conséquences encore inconnues que cette concurrence de l’énergéticien par ce consommateur allemand également producteur via la multiplication des panneaux solaires sur les habitats. Cette relation reste à réguler sans subvention. En outre, il reste à imaginer la part que ces millions de petits producteurs doivent payer pour entretenir et moderniser le réseau électrique global.
Ce point est particulier et s’ajoute à l’organisation en länder car les décisions d’acheminement de l’électricité solaire et de l’électricité éolienne du nord vers les centres urbains et les industries du sud par des réseaux modernisés sont la proie de boites noires politiques où se mélangent décisions-subventions-länder-état fédéral.

Alors, que deviendra la doctrine énergétique allemande après septembre 2013 ? Comment l’Allemagne peut-elle raisonnablement sous-traiter ses pointes de consommation électrique vers ses voisins s’ils connaissent les mêmes travers parce qu’ils auraient fait les même choix d’énergies climatiques ? Comment être seule au monde à éteindre le nucléaire, accroitre la part du charbon pour favoriser le vent et le soleil , déstabiliser les productions électriques de ses voisins européens par son électricité intermittente fatale ingérable et sous-traiter ses pointes de consommation électrique au nucléaire français ou au gaz russe ? Cette complémentarité est-elle réellement le résultat d’une concertation franco-allemande, une future politique énergétique européenne commune ? Le paysage énergétique allemand avec ses deux géants E.ON et RWE va profondément muter, comment l’Allemagne va-t-elle aborder la priorité aux énergies climatiques et la faillite programmée de l’un des « deux EDF allemands » ? Comment gérer la taxe sur les déchets nucléaires et la future taxe carbone avec une électricité thermique proéminente ? Quelle sera le futur mode de fonctionnement entre le consommateur/producteur individuel, l’énergéticien et le propriétaire du réseau ?
L’abandon du nucléaire allemand est, politiquement parlant, solide comme un bloc de granit. Mais faute d’une solution allemande décarbonée globale et en attente de progrès déterminants dans le stockage électrique, la bioénergie, le solaire, les pièges à CO² (voire sa transformation en engrais), faudra-t-il, dans cet entre-deux, comme la géo-ingénierie le suggère, faire demi-tour et que l’Allemagne repousse l’horizon nucléaire de 2022 à plus tard ? Enfin, revenons à nos moutons, quel en serait l’impact sur le l’étroit marché mondial de l’uranium ?

Avant d’imaginer des réponses faisons un rapide tour d’horizon de ce marché. Avec la reprise du nucléaire japonais, la croissance continue du nucléaire chinois et cette prospective d’un retour allemand, les cours de l’uranium pourraient-ils remonter ?

Brève perspective historique

La courbe des cours de l’uranium nous indique que le pic des prix spot de l’uranium de juin 2007, aux environs de 140 dollars la livre, fut suivi d’une interminable descente qui dura trois ans jusqu’en mai 2010 à environ 40 dollars la livre. Les 7 mois suivants, de juin 2010 à janvier 2011, la fameuse renaissance du nucléaire vit les prix spot culminer aux environs de 70 dollars la livre. Mais c’était un mouvement de courte durée. Au cours du mois de janvier 2011, deux mois avant l’accident de Fukushima, les cours de l’uranium s’affaissèrent continûment jusqu’au 11 mars 2011. Naturellement, juste après la tragédie japonaise les prix baissèrent brutalement mais pour se rétablir la semaine suivante à leur niveau précédent. Puis, lentement, ils reprirent le mouvement de baisse initiée en janvier, avant Fukushima, sur la même pente. Aujourd’hui les prix spot se sont stabilisés au niveau de mai 2010 légèrement inférieur à 40 dollars la livre.

Dans ces conditions, que nous indiquent les fondamentaux du marché ?

La production minière

Un projet minier fonctionne de la manière suivante. Une fois un gisement identifié, le travail du géologue répondra à au moins deux questions : l’enjeu qualitatif (richesse du minerai) et l’autre quantitatif (quantité de minerai). Il est préférable de découvrir une grande quantité d’un minerai riche qu’une petite quantité d’un minerai pauvre, voire qu’une grande quantité d’un minerai très pauvre. La connaissance du gisement progressant avec le temps ce dernier sera premièrement classé sous le vocable technique de ressource parce que ses perspectives d’exploitation sont reconnues puis, à la suite d’explorations plus intenses, il deviendra une réserve parce qu’il est définitivement exploitable.
Ainsi, par exemple le gisement Imouraren au Niger exploité par Areva voyait sa ressource multipliée par 6 entre 2007 et 2012 et ses réserves augmenter de 60% sur la même période.
Inversement, il existe des bizarreries : au fur et à mesure que la connaissance par le même Areva de son gisement namibien Uramin s’améliorait, la ressource diminuait au lieu d’augmenter : de 2007 à 2012 le rétropédalage géologique divisait la ressource par 170. Le gisement était mort-né et ce fut une facétie de communication que de justifier son abandon par la chute des prix post-Fukushima.

Il était aussi dit que Fukushima tuerait la production minière, c’était là encore évidemment inexact. Elle enregistra un court revers en 2011 plutôt qu’un changement de direction et depuis elle n’a cessé d’aller de l’avant sous différentes formes. Le Kazakhstan reste le premier pays producteur mondial et continue de produire toujours plus ; la société minière canadienne, Cameco, augmentera encore sa production cette année ; les Etats-Unis feront de même comme l’Australie ; en Namibie le chinois CGNPC espère que le gisement géant d’Husab commencera à produire en 2015 ; au Niger Areva annonce que la mine d’Imouraren produira en 2015 et Paladin vendait aux horizons 2019-2024 la future production de son site canadien de Michelin.
La nouveauté de 2013 réside dans le recyclage et l’arrêt des contrats commerciaux de désarmement des têtes nucléaires russes vers les Etats-Unis, environ 20% de l’offre globale mais 40% des approvisionnements des centrales nucléaires états-uniennes. Moscou arrêtant de leur vendre cet uranium recyclé elles achèteront sur le marché.

Demande
Il y a 437 réacteurs en fonction dans le monde et 68 sont en construction, la capacité de production mondiale augmentera de 373 GW à 425 GW d’ici à 4 ans. La consommation mondiale d’uranium est donc sur une pente ascendante.
Au Japon les deux réacteurs d’Ohi repartent. Pour les 48 autres, la demande d’uranium est sujette aux contraintes de redémarrage : l’application des nouvelles régulations de sureté publiées à la mi-avril 2013. Ces règles supposent des chantiers pour plusieurs années. En attendant une partie des achats d’uranium japonais était stockée et l’autre était revendue sur le marché.
Mais les achats chinois impressionnent. Ils continuent d’augmenter au fur et à mesure de l’ouverture de nouvelles centrales et surtout la Chine poursuit la constitution d’un immense stock stratégique d’uranium. Il est à présent équivalent à une année de production minière mondiale, plus de 8 années de sa consommation actuelle mais à environ un à deux ans de sa future consommation de croisière, il est minuscule au regard de son équivalent français.

Conclusion
A partir de 2014 les forces du marché de l’uranium reconstitueront un déficit de l’offre et un affermissement des prix.
Une fois les capacités mondiales d’électricité nucléaire sur leur plateau de 425 GW et que le Japon sera de retour sur le marché, alors l’équilibre offre-demande se rétablissant, les prix se seront déjà éloignés des 30 dollars la livre.
Mais c’est sans compter sur une Allemagne qui repousserait à plus tard l’horizon de 2022. Si tel était le cas, rien n’est garanti, nous aurions là le signal d’objectifs énergétiques d’un autre monde : énergie prévisible, non intermittente, dé-carbonée, économique. La date du 22 septembre 2013 deviendrait celle d’une transition énergétique inattendue, Angela ré-atomisera-t-elle l’Allemagne ?

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