Gard: la souveraineté vinicole a-t-elle un sens  ?

In La Tribune 03/02/2024

En 1900, la France produisait 67 millions d’hectolitres de vin et consommait 150 litres par habitant. En 2023, c’était 46 millions et une consommation de 40 litres avec une population 60% plus nombreuse. Malgré la crise de surproduction omniprésente, les vignerons français n’ont cessé d’améliorer leurs vins, à l’exemple de ceux du département du Gard.

Le Gard est la Rolls des Appellations d’origine protégée (AOP) à tel point que chaque année le département y organise une compétition nommée « les militants du goût », dont le jury est uniquement recruté parmi ses habitants. Les médaillés sont les meilleurs artisans qui utilisent les fruits et légumes des Cévennes dans le nord du département ; puis viennent les oliveraies, les herbes aromatiques, le miel et les fromages des garrigues ; plus bas sont récoltés les fruits des Costières ; ensuite la lavande, le riz et le sel de la Camargue abondent et, enfin, apparait la production halieutiques de la mer Méditerranée. À chacune de ses altitudes correspond un élevage : volaille, escargot, ovin, caprin, porcin, et celui des chevaux et des taureaux, l’un des plus extensifs d’Europe.

Chaque terroir cultive également sa vigne et ses vins. Ils sont si différents les uns des autres que pas moins de quatorze AOP et IGP (Indication géographique protégée) classifient les vins du Gard. Naturellement, la personnalité des vignerons de chacun de ces terroirs si distincts se différencient par des petites touches, mais partout une même passion s’exprime, une même curiosité à changer les choses, à repousser les limites, à innover.

Bien que d’excellents vins blancs et rosés soient omniprésents dans ses terroirs, il est exact que depuis quelques temps l’image du Gard était celle du « gros rouge ». Elle était celle d’une production vinicole conventionnelle privilégiant les volumes, consommatrice de nombreux intrants, parfois irriguée et avec des rendements qui pouvaient atteindre 200-250 hectolitres à l’hectare. Les vignobles étaient structurés pour laisser passer les machines, la vigne était épuisée après vingt ans, puis arrachée et remplacée par des « vignes comptables », parce que financées par la PAC. Il faut changer de logiciel, cette image ne correspond plus à la réalité.

Bio

Depuis, la génération de vigneronnes et de vignerons gardois des années 1960 a été le plus souvent diplômée d’agronomie. Grâce à la liberté offerte par cette connaissance scientifique, la vigne conventionnelle a muté vers le Bio en abandonnant les intrants de l’agrochimie : herbicides, insecticides, fongicides. C’est-à-dire que les sols des vignobles se sont améliorés, ils sont restés enherbés pour garder l’humidité et mieux fixer l’azote ; des haies ont été plantées à l’ouest des vignobles pour atténuer les effets néfastes des vents et du soleil couchant ; des arbres sont plantés dans les vignes pour reminéraliser les sols et ombrer les raisins afin de baisser les taux de sucre ; les maladies traitées avec des matières naturelles – cuivre ou soufre – qui ne travaillent plus le végétal de l’intérieur comme le faisait l’agrochimie et coûtent 3 à 7 fois moins chers que les produits issues de la chimie. Un cercle environnemental et financier vertueux a été créé.

L’effort est gigantesque. D’autant plus que la même génération gardoise a aussi systématisé la conservation des vieilles vignes pour faire primer la qualité à la quantité. Celles-ci sont taillées à l’ancienne, en gobelet, pour s’auto-défendre. Par cette taille, la végétation forme un bouquet retombant qui augmente l’ombre sur les raisins et en atténue le degré d’alcool. Elle diminue également le stress hydrique à la base du cep tout en asséchant ses hauteurs par aération de façon à combattre l’humidité favorable aux attaques de mildiou, oïdium ou botrytis. Certes, cette taille en gobelet impose la vendange manuelle, mais celle-ci protège les levures indigènes sur les baies qui s’ajoutant à celles habitant les caves permettent une vinification naturelle sans intrant. Là encore c’est un cercle vertueux qui s’est installé.

Vieilles vignes

Ces vieilles vignes produisent les meilleurs vins avec des rendements respectueux de leurs âges, bien éloignés des 200-250 hectolitres des vignes de vingt ans. En Camargue, les vignes de 40 ans du Domaine de Montcalm produisent 50 hectolitres à l’hectare pour les cuvées Collection et Prestige. À l’autre extrémité du département, dans les Cévennes, le Domaine de Berguerolles, berceau du Clos rouge et de l’Hermès blanc aux dix-sept cépages, voit ses ceps de 54 ans produire 30 à 90 hectolitres à l’hectare, suivant la richesse du sol, pour la cuvée Léopoldo. Au Centre, dans les anciennes mangroves salées de Langlade et de la Vaunage, le Domaine Edgard Dufès Successeurs dispose de vignes de 56 ans produisant 20 hectolitres pour la cuvée « vins vieux de bourgogne », déjà choisi par Louis XIV. Au Château l’Ermite d’Auzan, ils ont aussi 56 ans et produisent 20 hectolitres pour la cuvée Sainte Cécile. A 67 ans, au Château Mourgues du Grès, ils produisent 20 hectolitres pour les cuvées Terre de Feu, Cuve 46 et Equinox. Au Domaine des Célestes, ils ont 84 ans et produisent 40 hectolitres pour la cuvée Arcturus. Enfin, chez Jean Kreydenweiss, les ceps ont été plantés en 1909, ils ont 115 ans et produisent 15 hectolitres à l’hectare pour la cuvée KA.

L’ancienne génération gardoise travaillait 70 heures par semaine… sans vacances, c’est-à-dire deux fois les 35 heures… avec des vacances. Désormais, la vigne est aux mains d’une génération de 20 à 30 ans. Souvent doublement diplômée d’agronomie et d’une formation au management, ces vigneronnes et vignerons ingénieurs sont à la fois viticulteurs, vinificateurs, commerciaux et gestionnaires et ont appris de nouvelles façons de travailler dans les vignobles du monde entier.

Ils partagent la même passion que les anciens, car revenus dans les vignes du Gard, certains s’installent sur les terres de leurs familles, tandis que d’autres, néo-vignerons, achètent de bonnes terres à 10.000 euros l’hectare ou s’installent en fermage. Ces derniers ressuscitent le terroir en transformant, par exemple, des domaines uniformes de  50 hectares en cinq vignobles diversifiés de 10 hectares chacun ; avec une approche volontaire, ils revivifient les pratiques en produisant l’immense effort de dépasser les limites du Bio vers la biodynamie, l’aromathérapie et des vins naturels.

Biodynamie

La biodynamie est cette vision holistique du domaine agricole qui ne peut pas être scindé en une partie conventionnelle, une autre Bio, une troisième biodynamique, mais doit être d’un seul tenant biodynamique. C’est une vision portée par les vignerons ingénieurs eux-mêmes. Elle se concrétise dans la verticalité de la plante entre son sous-sol et le cosmos de son terroir par la méthode scientifique (observation de la nature, et identification des problèmes, hypothèses, expérimentations, analyse des résultats, étude d’impact).

Cette génération d’ingénieurs agronomes amendent le sol ; enrichit le sous-sol de vie microbienne en augmentant la dégradation bactérienne par des tisanes de résidus de bouse enterrés dans la kératine des cornes bovines ; elle renforce la captation de la lumière et de l’énergie solaire par la feuille grâce à la diffusion de préparations minérales ; elle diffuse des tisanes de prèles concentrées en silice pour assécher les sols et affaiblir le mildiou, etc… À aucun moment, elle ne cherche à éliminer une maladie mais tente de la maitriser, car la nature ayant horreur du vide elle serait remplacée par une autre plus rare, plus virulente ou plus difficile à contrer.

D’autres travaux de la vigne ou de la vinification sont réalisés en fonction du calendrier lunaire ou de la pression atmosphérique, par exemple, la taille de la vigne ou le soutirage du vin.

Ces vignerons gardois travaillent en groupe. Ils se retrouvent plusieurs fois par an pour fabriquer les préparations et échanger leurs observations.

L’ensemble est naturellement calibré en fonction des différents terroirs et in fine le sol est plus meuble sous le pied parce que plus vivant, les vignes plus résistantes et résilientes au changement climatique. Les raisins sont plus beaux, la balance entre alcools et acides est plus harmonieuse parce que les pH des jus sont plus bas. En conséquence, la vinification est plus spontanée, les vins se tenant naturellement mieux, ils sont moins demandeurs de sulfite, leurs saveurs mieux équilibrées sont de plus grandes densités.

La biodynamie permet donc de travailler différemment avec succès. Mais elle est parfois qualifiée d’ésotérique, notamment à cause du dogmatisme de son inventeur allemand, Rudolf Steiner. L’intéressant est ailleurs. Il est dans la pratique : ça marche ou pas ? Oui, cela fonctionne, et pour le comprendre, il faut s’interroger sur son fonctionnement dans la vigne. Des réponses (bactériennes et pétrologiques) sont dans nos anciennes leçons de « sciences naturelles » des lycées d’antan (niveau seconde ou première). D’autres trouveront qu’elles sont lisibles dans un vieux grimoire perdu au fond d’une cave du coté de Langlade : ce sont celles de la tradition et du bon sens, seul le résultat compte.

Aromathérapie

Après la biodynamie, l’innovation continue. Notamment lorsque le Château l’Ermite d’Auzan révolutionne les soins apportés aux vignes grâce à l’aromathérapie, c’est-à-dire soigner la vigne par les plantes.

Le cuivre guérit du mildiou, mais le médicament excessivement projeté provoquera un dégât collatéral : s’infiltrant dans les premiers centimètres du sol, il bloquera la captation d’oligoéléments par les radicelles de la vigne.

L’étude d’impact indique que des tisanes d’aromathérapie aux dosages précis d’huiles essentielles de menthe, thym ou lavande assèchent les spores du mildiou. Se substituant au traitement par le cuivre, les quantités de ce dernier dans la vigne sont divisées par plus de quatre par rapport au Bio. D’autres décoctions et tisanes de plantes apporte de l’azote, des oligoéléments et des acides organiques. En conséquence, après deux ans, le vigneron constate l’enrichissement du sol et une vigne fortifiée, un raisin plus résistant et un vin plus naturel. Au-delà de l’avantage environnemental, c’est un avantage concurrentiel majeur, car la « facture médicale » du cuivre est considérablement réduite.

Vin naturel

Cette même génération, toujours volontaire pour le changement, s’est largement engagée dans l’ultime étape : les vins naturels.

Il y a déjà vingt ans, sous l’impulsion de la Confédération Paysanne, de premiers millésimes furent produits par quelques pionniers. Ils voient aujourd’hui grossir leurs rangs grâce aux vigneronnes et vignerons trentenaires, héritiers de vignobles conventionnels ou qui n’ont parfois jamais travaillé la vigne. Ils exercent sur des domaines de 10 à 20 hectares comme Gavach’s Wine, Les vignes de Gaiä , Jaja Land, Domaine Joé Chandellier, Domaine de Mouressipe, Domaine de la famille Scarlata, Domaine de Cassagnas. Pour ces petits producteurs, la vigne n’est pas un métier de multinationale mais d’artisanat. Ils sont l’illustration du « small is beautiful » d’Ernst Friedrich Schumacher. Inutile de se précipiter chez eux, tout est vendu, il faut pratiquement acheter sur pied, car ils exportent avec succès 70% de leur production dans le monde entier : États-Unis, Canada, Japon, Corée, Nouvelle Zélande, Brésil et l’ensemble des pays européens, de la Suède à l’Espagne et l’Italie en passant par l’Irlande. Mention spéciale à la vigneronne du Domaine de Cassagnas, dont le premier millésime blanc à la saveur umami fera un malheur.

Dans le vin naturel, on vit le produit comme autrefois, avec tous les risques. Les dangers sont immenses pour ces entreprises, puisqu’un vigneron qui souhaiterait convertir sa vigne conventionnelle en vin naturel verra son rendement passer de 100-200 hectolitres à l’hectare à 10-15 hectolitres pendant la transition puis se stabiliser en moyenne à 30 hectolitres. Au risque de perdre toute leur récolte, ils doivent savoir anticiper, observer et lire chaque microclimat et chaque signal faible de la vigne et de la vinification.

Face à ces difficultés climatiques ou financières ils sont rarement seuls. Là encore, ces vigneronnes et vignerons se sont regroupés en réseau. Chaque mercredi d’hiver, ils se retrouvent sur les terres de l’un des leurs pour tailler sa vigne ensemble. Les anciens épaulent les jeunes et les aident à s’installer, ils échangent les méthodes et les analyses : travail de la vigne, vendange manuelle, vinification sans collage ni filtration, sans aucun intrant. La solidarité paysanne est bien vivante.

Caves coopératives

Ce kaléidoscope du Gard serait incomplet sans parler des caves coopératives, dont le rôle est essentiel pour les vignerons lorsqu’ils n’ont ni facilité de vinification ni marketing. Elles commercialisent 60% des volumes gardois et ont la mission d’exprimer les vins de chaque terroir.

Certaines d’entre elles connaissent plus de succès que d’autres parce que les femmes et les hommes qui les dirigent ont été précoces à poser des diagnostics, puis à prendre des décisions stratégiques. Quatre d’entre elles se sont avérées très payantes.

  • Premièrement, leurs coopérateurs font un management de la qualité des terres et des vignes quasiment identique au Kaizen japonais, par changements progressifs. Il aboutit à 100% des vignobles certifiés HVE, Terra Vitis ou Bio à la cave coopérative de Sommières et 95% aux Collines de Bourdic. 95% car de temps en temps, c’est le poids des normes qui interdit aux 5% restants d’acquérir l’un de ces labels ou bien de permettre à un vigneron de monter d’HVE vers le Bio. Par exemple, il lui est impossible de planter une haie ou d’avoir des terres nues favorisant la biodiversité parce que son domaine est trop petit. C’est-à-dire qu’il suffirait parfois de louer la haie du voisin pour devenir Bio. Le poids des normes !
  • Deuxièmement, ces caves ont adaptées leurs politiques de marketing en vendant moins de vin en vrac aux négociants. À l’image de la cave de Gallician, elles embouteillent elles-mêmes jusqu’à 50% de leur production pour les consommateurs. Proches de ces derniers, elles pratiquent toutes l’intelligence économique en recueillant l’information commerciale utile aux décisions stratégiques, en anticipant leurs souhaits. Cette maitrise du marché rémunère mieux les coopérateurs, de sorte qu’ils continuent d’investir.
  • Troisièmement, contrairement aux idées reçues, le Gard est un terroir favorable aux vins blancs et aux rosés. Ces caves vinicoles se sont créées des avantages concurrentiels grâce à l’inestimable outil de la gestion du risque qu’est la diversification. Produire un mono produit rouge est un danger, alors que les vins rosés sont très demandés et que les blancs sont en rupture de stocks. La cave de Sommières produit 75% de vins blancs et de rosé. La cave des Collines de Bourdic, au pays d’Uzès, s’est diversifiée il y a dix ans et produit 50% de vins blancs et rosé dont son Prestige, son Gewurztraminer gardois et ses Vignes Rousses égales aux Sauternes bordelais ou aux coteaux de l’Aubance angevins. Enfin, la cave de Redessan est en position de force. Elle s’est stratégiquement inscrite dans les rosés et est capable d’en commercialiser 50% à 80% suivant la demande.
  • Enfin, dans le passé, des caves vinicoles ont unis leurs forces en fusionnant. Mais les fusions mal préparées, c’est-à-dire pour éviter une faillite dans un marché déprimé parce que personne n’a eu le courage de les faire avant, sont toujours cruelles. Au lieu de rationaliser les outils intelligemment, il devient nécessaire d’abandonner ou de fermer dans la précipitation.

Cette mosaïque vinicole n’est dirigée que par du bon sens : les meilleurs sols font les meilleures vignes qui font les meilleurs raisins et font les meilleurs vins. Aucune vigneronne, aucun vigneron qui ont fait ces efforts du Bio, biodynamie, aromathérapie ou vin naturel n’ont envie de revenir en arrière.

Crise et sortie de crise

Répétons-le, en 1900, la France produisait 67 millions d’hectolitres de vin, mais 46 millions en 2023. En 1900, elle consommait 150 litres par habitant contre 40 litres en 2023 avec une population 60% plus nombreuse. Lorsque l’on condamne l’aveuglement de la consommation de 1900, il ne faut pas oublier que l’eau potable n’existait pas partout (sans parler de l’eau courante). Il pouvait être nécessaire de la couper avec du vin. Il n’est plus nécessaire de mettre du vin dans son eau et, de nos jours, les efforts des vignerons sont pris en tenaille par la surproduction et par leur ras-le-bol des normes européennes, aux logiques parfois impénétrables.

Néanmoins, comme dans chaque crise de surproduction, l’ajustement se fait par les prix. Ces derniers illustrent la première révolution, le premier retournement. Le prix de vente en vrac du vin de type Costières étaient début janvier 2024 à 120 euros l’hectolitre contre 90 euros pour les vins type Côtes du Rhône. Or, de tout temps, la hiérarchie était inverse. Le prix du Côtes du Rhône dirigeait, le Costières suivait. Mais, comme disait Warren Buffet, c’est quand la mer est basse que l’on apprend qui s’est baigné sans maillot de bain. C’est-à-dire que la crise actuelle a révélé le croisement des courbes entre le Gard et les Côtes-du-Rhône. C’est un point de rupture historique. Il démontre que le Gard s’est affranchi d’une tutelle rhodanienne. Certes, l’identité de ses vins continuera en partie de se faire par rapport à sa rive droite du Rhône, mais le triangle Cévennes-Sommières-Camargue aux conditions pédoclimatiques si riches réclame sans doute autre chose. Une nouvelle unité des terroirs gardois pourrait être trouvée autour d’efforts communs, de valeurs partagées, d’une liberté d’entreprendre et laisser libre cours à leur créativité.

À court terme, la sortie de la crise actuelle signifie éliminer les stocks de vins rouges invendus. Il existe une solution iconoclaste qui demande cependant une décision politique courageuse. Il s’agit de distiller ces vins pour fabriquer de l’alcool destiné au biocarburant. Techniquement, rien ne s’y oppose, mais une dérogation temporaire à la directive des énergies renouvelable européenne est nécessaire. Cela serait une excellente solution pour la planète.

Réduction de l’offre

L’ajustement se fera également par une réduction de l’offre des vignerons français et les premiers à disparaitre sont toujours les opérateurs dont les coûts sont les plus élevés ou proches de la retraite.

Dans le Bordelais, l’arrachage sanitaire en cours concerne 10.000 hectares, environ 10% des vignes girondines, pour un budget de 60 millions d’euros abondé par l’interprofession, le région et l’État. En Occitanie, le gouvernement annonce consacrer 150 millions d’euros à l’arrachage des vignes, à condition que les terres soient mises au repos pour au moins 6 ans. Si l’on conserve le même ratio, cela correspond à 25.000 hectares arrachés en Occitanie, c’est-à-dire environ 10 % de ses 260.000 hectares. Cela sera-t-il suffisant ?

Durant cette crise, qui n’est pas achevée, des caves coopératives risquent de disparaitre. Certaines connaissent déjà des situations financières extrêmes. Plusieurs ont déjà expirées dans le passé et l’aboutissement mortifère de ces absences s’accompagne de l’arrachage et l’abandon des terres, qui retournent à l’état sauvage. Les villages sont alors entourés de friches mono-herbacées et semi-ligneuses dont les formes affligeantes ne cessent de confirmer au plus récalcitrant écolo-bobo que le paysan est bien un garant de la biodiversité et l’architecte du paysage.

À moyen terme, la sortie de crise passe toujours par la même « destruction créatrice » de Schumpeter.

Une redistribution des cartes verra de nouveaux opérateurs intéressés par la filière vinicole s’installer dans le Gard. De grands domaines seront divisés en petites exploitations unipersonnelles d’environ 10 hectares. Certaines se tourneront vers la différenciation afin de trouver une attractivité, une rentabilité grâce à de nouveaux cépages, des vins naturels, des innovations et une libération du poids des normes, notamment en refusant d’être classé sous des appellations aux règles désuètes et trop restrictives. C’est la liberté d’entreprendre du néo-vigneron.

Inversement, et à l’image d’autres filières agroalimentaires, telle la pêche pour laquelle ils sont propriétaires de chalutiers, des acteurs de la grande distribution s’intéresseront-ils à la reprise de domaines, voire de l’outil des caves vinicoles ? Les transformeront-ils en fonction des goûts et des attentes des consommateurs qu’ils sont les premiers à connaitre ?

Le Gard est bien ce kaléidoscope unique en France d’appellations et de terroirs, entre les Cévennes et la Camargue. C’est une symbiose de modèles économiques entre caves coopératives agiles et petits ou grands domaines astucieux partageant une grande communauté d’intérêts, celle de participer à la bonne santé du pays par leurs exportations. Leur excédent commercial est deuxième derrière l’aéronautique. Le vin est bien une affaire de souveraineté.

Le Gard est aussi un modèle vertueux de complémentarités entre générations de vigneronnes et de vignerons qu’ils soient conventionnels, Bio, biodynamique, aromathérapiques ou naturels.

Tous sont fiers que leurs vins gardois de classe internationale, et le plus souvent sous-cotés par rapport à leurs qualités, restent accessibles au pouvoir d’achat des habitants de leur village. Mais ils rappellent qu’un agriculteur pauvre ne peut pas nourrir son voisin.