In La Tribune 13/01/2021 (mise à jour 17/01/2024)
3 ans après la publication de cet article, les faits confortent mes observations de 2021 : Prony Resources est en grande difficulté et :
- d’aucuns appellent à une nationalisation au titre de la souveraineté nationale …mais le nickel calédonien …est exporté en Asie et si peu en métropole ou en Europe;
- d’autres dénoncent son montage financier, mais il est un peu tard comme l’indique les arguments de cet article de 2021;
- d’autres encore clament sans convaincre qu’elle sera sauvée … grâce à l’argent… de l’État… encore une fois…, à voir;
- d’autres enfin prônent la fusion, mais avec qui? Les fusions mal préparées, c’est à dire dans un marché déprimé parce que personne n’a eu le courage de les faire avant, sont toujours sanguinaires, cruelles ou bien barbares, car au lieu de rationaliser les hommes et les outils il est nécessaire d’abandonner et de fermer.
La seule chose certaine c’est que le montage de départ n’a pas tenu le choc, qu’un autre modèle était possible -plus industriel et professionnel, car de l’argent s’est probablement envolé loin de Nouvelle-Calédonie (pour faire quoi ?), pour le plus grand malheur …des emplois de l’usine du sud.
Mais revenons au mois de janvier 2021, que se passait-il ?
La Nouvelle-Calédonie dispose de quatre usines pour traiter son minerai de nickel. La Province Nord est propriétaire de deux usines, l’une en Corée qu’elle partage avec le sidérurgiste Posco, l’autre, celle du rééquilibrage désiré par le Général de Gaulle, est partagée avec le mineur Glencore. Dans les deux cas, la Province Nord a 51 % des parts et les industriels 49 %. Plus au sud à Nouméa, la SLN appartient à hauteur de 34 % aux 3 provinces — Sud, Nord et des Îles — et le solde à Eramet et un industriel japonais. À l’extrême sud, l’usine et la mine de Goro appartiennent à hauteur de 5 % aux collectivités locales et le solde au brésilien Vale.
Deux tentatives de cession
Depuis fin 2019, Vale veut céder ses 95 % de Goro contre un euro symbolique, mais depuis 12 mois deux tentatives de cession ont été des fiascos.
La première a capoté parce que le candidat choisi, l’australien New Century Resources, n’était solide ni industriellement ni financièrement.
La deuxième est en cours d’ajournement, mais a provoqué des remous. ( Elle a par la suite, hélas, été choisie et c’est elle qui 3 ans après engendre les difficultés actuelles). Goro devait être recapitalisée à hauteur de 100 millions de dollars par un nouvel actionnariat, et la solution proposée semblait un montage ou se mélangeait pêle-mêle plusieurs opacités.
La partie la plus limpide du nouveau capital était celle de Trafigura, trader international. Il prendrait 25 % contre 25 millions de dollars.
Plus tintinnabulante était celle d’une nouvelle société créée pour l’occasion, la Compagnie Financière Prony (CFP). D’aucuns s’étonnaient que son fondateur établi en Polynésie, territoire libre au regard de l’impôt sur le revenu, cumulait les fonctions de directeur du site de Goro, de négociateur de la vente de ce même site minier pour le compte de Vale et de candidat à sa reprise.
À l’égal de Trafigura, CFP, société non encore créée et sans ressources financières suffisantes pour financer son apport, prenait 25 % du capital. Il était donc annoncé dans un premier temps que Trafigura lui avancerait 50 millions de dollars, puis dans un deuxième temps CFP recevrait 25 millions de dollars de Trafigura et 25 millions de dollars d’une société-écran constituée dans les Îles Grenadines et dont le siège social serait au Liechtenstein.
Le solde du capital, 50 %, devait être réparti entre les salariés, des collectivités locales et des investisseurs privés contre environ 10 à 15 millions de dollars, sans que l’on connaisse réellement le montant et la nature des apports de chacune de ces parties.
Plus obscur, additionnés les uns avec les autres, ces apports n’aboutissaient pas à 100 millions de dollars. En outre, si 1 million de dollars apporté par Trafigura lui permettait d’acquérir 1 % du capital, un même apport d’une autre partie semblait offrir un pourcentage différent sans réelle explication.
Facilités financières et fiscales
De son côté, Paris apportait des facilités financières et fiscales d’environ 420 millions d’euros d’argent métropolitain ; le vendeur, Vale, donnait 500 millions de dollars à l’acheteur, pour moderniser le barrage de la mine, des banques étaient annoncées prêter 242 millions de dollars.
Enfin cette solution avait pour but de fournir en nickel et cobalt l’industrie chinoise des batteries.
Une troisième proposition était celle de la société Sofinor associée au coréen Korean-Zinc. (Elle n’a pas été choisie en 2021). Industriellement, elle était claire, car elle maintenait toutes les activités du site. Techniquement, elle était propre, car le groupe coréen est leader mondial dans l’affinage des métaux et il apportait son savoir-faire et ses technologies métallurgiques. Financièrement, elle était pure, car les collectivités locales apportaient 51 % du capital sous forme des permis miniers tandis que le coréen finançait intégralement et en direct les autres 49 % du projet à partir de ses fonds propres sans faux-nez fiscal.
Stratégiquement, elle était rusée, car elle souhaitait fournir non pas la Chine, mais « l’Airbus des batteries » européen. Politiquement, elle assurait un rééquilibrage du nickel calédonien, car si c’était la Province Nord, déjà riche de deux usines, qui élaborait l’acquisition des 51 %, c’est la Province Sud qui héritait de la présidence de la société.
Mais, les employés de Sofinor-Korean Zinc ayant été interdit d’accéder au site minier de Goro, leur offre restait incomplète. Puis le 7 décembre 2020, à la suite de pressions diplomatiques, Korean Zinc se désengageait de son offre commune avec Sofinor.
Datée du lendemain, le 8 décembre 2020 une option de vente de l’usine et de la mine était proposée à la signature de Trafigura-CFP et de Vale. Ce contrat stipulait que CFP n’avait encore aucune existence légale à cette date.
La rhétorique anticolonialiste ravivée
Il ne fallait pas être grand clerc pour prévoir qu’une politique qui n’anticipait pas ses maladresses raviveraient logiquement une rhétorique anticolonialiste jusqu’alors adoucie par 30 ans de paix et qu’elle engendrerait une perte de contrôle et des conséquences disproportionnées. Dans les jours qui suivirent, l’usine de Goro était le lieu de dégradations, d’incendies, de destructions, de barrages, les journalistes étaient menacés, les injures racistes et les menaces de mort redoublaient, les réseaux sociaux organisaient des chasses aux sorcières. Après 30 ans de paix !
Comment sortir de ce fiasco ?
La Nouvelle-Calédonie a démontré son expertise dans les réseaux qui broient les différences. Au lieu de présenter, y compris dans les médias officiels parisiens, la cession de Goro comme un affrontement du Nord contre le Sud et des communautés rurales contre Nouméa, de la singer comme un rempart anti-chinois sans regarder ce qui se passe en Indonésie, d’opposer Glencore à Trafigura, ces réseaux devraient se remettre au travail tant le départ du brésilien Vale doit impérieusement unifier le territoire et trouver la concorde plutôt que la division.
Deuxièmement, le processus de vente de l’usine et de la mine de Goro doit être refondé vers moins de politique, plus de neutralité, d’impartialité, mais surtout accroitre son expertise industrielle quasiment inexistante.
La conclusion suivante de 2021 envisageait que la solution industrielle, la troisième, évoquée ci-dessus serait finalement entérinée. Mais c’est la deuxième qui fut choisie, elle nous a mené vers les difficultés actuelles. CQFD)
De fait, les discussions de ces derniers jours s’orientent vers 51 % d’intérêts calédoniens et 49 % de capitaux non calédoniens. Les premiers apportant l’accès au gisement et les seconds une réelle expertise technique, tandis que les capitaux et facilités fiscales sont à mettre en perspective d’un troisième référendum. Contrairement au déroulement des 12 derniers mois, dans ce futur montage, l’ingénieur et la métallurgie doivent être le point de départ et les prétendants compétents et valables sont connus. L’ensemble n’est pas très compliqué, tant que le dispositif a pour but de sauver des emplois et de continuer une paix qui dure depuis 30 ans.