In La Tribune 12/12/2019
Une récente conférence à Kedge Bordeaux était l’occasion de revenir sur la fake-news des « métaux rares », mais aussi de préciser que le désordre entretenu entre les notions de lanthanides (ou terres-rares) et l’expression malheureuse de « métaux rares » ajoutait à la confusion des esprits, notamment dans le monde politique. La dernière illustration en était l’exposé de la députée européenne Karima Delli au forum « Paris City Life 2019 » : fustigeant l’apparente inertie d’industriels de l’automobile, elle était malgré elle victime de cette infox.
Ces canulars, tel un conflit métallique initié par la Chine, ou bien celui de fermetures de mines en dehors de Chine provoquées par Pékin, voire ceux de futurs embargos de métaux ont en effet contaminé le domaine des véhicules électriques. Ils affirment que dans cette industrie les voitures vertes sont porteuses de batteries « rouges » contenant au choix des montagnes de terres rares ou bien des métaux de conflits, mais également que ces batteries seraient non recyclables, et le feuilleton ne s’arrêtera probablement pas là.
Marquer les esprits des consommateurs
Ce concert de fake-news, entretenu par une mystification raboteuse dans le but de marquer les esprits des consommateurs, a provoqué en Europe un important retard de l’industrie des voitures électriques sur l’Asie, alors que dans le même temps les propulsions diesel et essence continuaient de techniquement à progresser vers des moteurs plus propres. Désormais, il est à la mode d’opposer la propreté de l’électrique à la propreté du diesel. Pourtant, ces mesures, parfois datées, sont souvent fondées sur des situations anciennes ne tenant pas compte des progrès dans la production de métaux. Néanmoins, la prochaine directive européenne sur la pollution automobile, qui ira du puits ou de la mine à la roue et jusqu’au recyclage, reconnaitra sans doute que la voiture électrique dégage en moyenne 30 % de CO² de moins que les véhicules classiques.
Naturellement, ce ratio s’améliore lorsque l’électricité consommée est décarbonée comme en France et il se dégrade dans d’autres pays fonctionnant au charbon. L’analyse de la mobilité électrique est donc à géométrie variable et c’est pourquoi d’aucuns pronostiquent que pour moyenner leurs gammes de voitures, les constructeurs multiplieront dans un premier temps les modèles hybrides plutôt que 100 % électriques. C’est pourquoi l’Airbus des batteries, qui vient de se concrétiser avec l’accord de subventions publiques par Bruxelles, devra donc en premier lieu combattre l’imposture des infox qui sont devenues un réel handicap à la mobilité électrique, et seulement ensuite proposer des solutions électriques les moins coûteuses possibles.
Compte tenu de ce passif, il n’est donc pas étonnant que les métaux utilisés dans les batteries des véhicules électriques, dont la demande était annoncée stratosphérique par des esprits corrompus, n’aient pas vue leur offre en hausse rencontrer une demande équipollente.
Chute des prix du lithium
En conséquence, le lithium dont les prix culminaient aux environs de 23. 000 dollars la tonne en 2016 et 2017 est attendu aux environs de 5.000 dollars la tonne début 2020 ; les sites de production non économiques seront fermés et il pourrait être compliqué de les redéployer plus tard.
De son côté, les prix du cobalt qui culminaient à 95. 000 dollars la tonne en 2018 cotent 34. 000 dollars la tonne. Ils ont probablement atteint le fond du puits, car les plus grandes mines du monde réduisent leur production ou sont à l’arrêt, et le premier producteur mondial, Glencore, sous enquête de la justice étatsunienne puis anglaise, est rentré dans un espace de déstabilisation organisée dont certains services de Washington ont le secret. Mais, à la suite de la crise de 2018, la trajectoire de la consommation a divergé vers une substitution et une réduction de la quantité de cobalt consommée. L’ensemble est dynamique et il est donc difficile de prévoir si les prix retrouveront les orbites zénithales du passé.
La consommation de manganèse dans les batteries est insignifiante, inférieure à 3 % de la demande. À la suite d’une hausse des extractions au Ghana, la production mondiale n’était pas rééquilibrée par une réduction de la production sud-africaine qui pourrait faire suite aux pénuries d’électricité dans les exploitations minières de ce pays. En conséquence, après deux très bonnes années en 2017 et 2018, les prix se sont dangereusement affaissés de 9 dollars à 4 dollars en 2019. Ils sont attendus encore plus bas en 2020.
Le marché du nickel n’a pas été exceptionnellement animé en 2019. Après avoir presque doublé à la suite d’une petite spéculation de 6 mois liée aux infox de la voiture électrique et aux inconséquences de consommateurs peu avisés, les prix se sont de nouveau affaissés. Les stocks de métal cachés restent importants, certains ont disparu dans des endroits étranges : des pays du Golfe, des consommateurs chinois, mais aussi chez des investisseurs.
Des batteries sans nickel, voire sans lithium
Toutefois, puisque le nickel est le métal qui devrait le plus profiter de l’essor des nouvelles générations de batteries nickel-manganèse-cobalt, d’aucuns pronostiquent des prix très optimistes. Mais il semble cependant que le passé du métal du diable joue contre lui et que les générations de batterie sans nickel, voire sans lithium aient déjà dépassé le stade du prototype. La question qui se pose au nickel est vétérotestamentaire : doit-il il abandonner un vieil ami, l’acier inoxydable, pour un nouveau compagnon moins fiable, les batteries ?
Chacun le constate, les « métaux rares » n’existent pas. Pour les véhicules électriques, ils sont au contraire abondants s’ils ont été cherchés, découverts, transformés et sont recyclés. Ils deviendraient sensibles si l’une des étapes précédentes était défaillante et qu’il n’y a plus équilibre entre offre et demande, mais cela est généralement de courte durée. Ils seront critiques s’il existe des risques élevés de déficit sans substitution encore connue. Enfin, ils sont stratégiques si l’État les déclare indispensables à l’une de ses politiques, tel l’Airbus des batteries, ou bien à ses missions régaliennes. Dans ce dernier cas éloigné de la géologie, ce n’est pas parce ce qu’ils sont stratégiques que les prix de ces métaux seront élevés, au contraire, à l’image de l’uranium, métal stratégique français , pour autant qu’offre et demande soient à l’équilibre, leurs prix resteront à des niveaux acceptables.