In Le Monde 16/02/2024 (version intégrale)
La transition énergétique conduirait à une diminution de l’emprise des industries extractives, essentiellement du charbon, affirme de façon contre-intuitive les chercheurs néerlandais des universités de Leiden et Delft (« Energy transition will require substantially less mining than the current fossil system », Joule n° 7/11, novembre 2023). Sans charbon, seule restera une emprise minière métallurgique d’une ampleur bien inférieure à celle de la houille, et surtout bien inférieure aux prévisions annonçant une flambée de l’extraction des métaux nécessaires à la transition – les tristement fameux « métaux rares » – qui ont alimenté la crainte d’une pénurie, les annonces politiques tant nationales qu’européennes, et la dénonciation d’une emprise croissante des industries extractives (nickel, manganèse, lithium, cobalt…) aux conséquences destructives pour l’environnement et les droits humains.
Les études de la Banque mondiale et de l’Agence Internationale de l’Énergie
Les perspectives des consommations de métaux étaient jusqu’ici basées sur celles de la Banque Mondiale datant de 2020, et sur celles de l’Agence Internationale de l’Énergie dans son rapport « Net-zero emissions 2050 », publié en 2021. La première bâtissait son scénario à partir de l’une de ses propres études sur « le rôle des métaux dans un monde dans un futur sobre en carbone », datant de 2017. Et la seconde s’inspirait de la première.
L’étude néerlandaise, à la différence de celles d’institutions habituées au caractère non recyclable des hydrocarbures, atteint ce résultat optimiste en tenant compte de l’amélioration du recyclage du stock de métaux déjà accumulé depuis une dizaine d’années, stock qui devrait continuer de grandir jusqu’en 2040 selon les chercheurs.
Cette étude évalue cependant le reste de l’équilibre offre-demande en reprenant hélas les anciennes hypothèses de demande de métaux de l’AIE, alors que celles-ci nécessiteraient au minimum une mise à jour, voire un changement de logiciel. Car elles ignorent la plus grande chance de diminution de l’emprise minière : la réduction des consommations, guidée par les technologiques de substitutions de métaux dans la production, le transport, le stockage et la consommation d’électricité.
Certes, rien ne se fait sans métaux dans les éoliennes ou les panneaux photovoltaïques, dans le transport par ligne ultra haute-tension, dans les batteries et dans les voitures électriques. Mais l’innovation dans les consommations métalliques est permanente. Il est vrai que cette facette industrielle n’est pas intuitive pour les non-initiés du monde académique, de la politique ou de la finance.
Depuis plus de vingt ans, de nombreuses innovations techniques, non anticipées par la Banque Mondiale et l’AIE, ont été découvertes puis confirmées. L’exemple le plus criant concerne la consommation de métaux dans les batteries des véhicules électriques.
Arguant du coût du cobalt, dès février 2020, le chinois CATL (accumulateurs) et l’américain Tesla entérinaient la substitution sur les voitures des batteries NMC (nickel, manganèse, cobalt) par des batteries LFP (lithium, fer, phosphate). Un an plus tard, Elon Musk avançait une deuxième raison, plus géostratégique : il y a plus de fer dans la croûte terrestre que de nickel. Ajoutons un autre élément bien connu : trop de nickel élève le risque d’incendie de ces batteries.
Pourtant, l’étude de 2020 de la Banque mondiale mentionne 18 fois les NMC, et une seule fois les LFP. Un an plus tard, l’AIE cite 64 fois les NMC et 23 fois les LFP. Avant 2020, la Chine avait déjà fait ce choix, et près de 70 % des batteries installées aujourd’hui sur les voitures électriques chinoises sont des LFP. L’Europe et les États-Unis vont désormais dans la même direction.
La folie des « métaux rares »
Pris dans la folie des « métaux rares », il y a trois ans personne à la Banque mondiale ou à l’AIE ne doutait, ne remettait en cause la doxa et n’intégrait la possibilité d’une substitution, d’une réduction voire d’une disparition de cette consommation de nickel et de cobalt. Pire, les études des deux institutions se sont mélangées et ont alimenté le wokisme géologique de la fake news des « métaux rares ». Elle-même créait une angoisse environnementale, notamment parmi la jeunesse.
Étonnamment, les mêmes spéculations tournent toujours dans le débat public. Pourtant, la diminution progressive de la demande de nickel est déjà visible tant ce marché est submergé par une surproduction du premier producteur mondial, l’Indonésie. Elle percute au Brésil, en Australie, en Colombie l’avenir de projets miniers, mais aussi l’avenir de mines aux coûts déraisonnables. C’est pourquoi les mineurs Vale et Glencore fusionnent leurs mines de nickel au Canada ou qu’en Nouvelle-Calédonie l’opération de sauvetage du nickel concocté par Paris apparaît comme une tactique trop faible, trop tardive et donc une nouvelle erreur stratégique. Cette surproduction mieux anticipée, aurait aussi permis d’éliminer définitivement la perspective des mines sous-marines, telles celles promises par la Norvège ou dans le Pacifique. Outre qu’elles restent des enjeux écologiques irrésolus, elles seront d’autant plus inutiles que leur ressource est principalement du nickel.
La substitution est la clef
Il existe des évidences invisibles. La substitution d’autres métaux n’a pas non plus été imaginée dans ces études. Aucune prospective quant à la substitution du lithium par du sodium ; rien sur les aimants permanents sans terres rares ; rien non plus sur la disparition de terres rares d’éoliennes ou bien des moteurs des voitures électriques alors qu’elles sont présentes dans les voitures essence ; encore moins sur l’équipollence entre les quantités de cuivre embarquées dans les voitures à hydrocarbures et celles propulsion électrique à 48 volts ; rien de rien sur une idée plus générale : la performance énergétique des métaux d’une Tesla ou d’un BYD est aujourd’hui à la voiture électrique ce que la performance énergétique de la petite Ford T de 1908 fut aux voitures thermiques contemporaines. Des innovations et progrès économes de métaux tous azimuts sont donc à prévoir.
In fine, l’étude néerlandaise aura été fidèle au sophisme « raisonner vrai à partir d’élément faux ». Elle va dans la bonne direction à partir d’éléments inexacts, mais elle n’a que fait la moitié du chemin en concluant que plus de la moitié de l’emprise extractive liée à la transition énergétique disparaîtra entre 2021 et 2050. Heureusement, cela sera beaucoup plus ; et le pétrole diminuera aussi grâce à une emprise minière métallurgique qui augmente. Mais celle-ci sera comme toujours tempérée par son impact environnemental qui continuera s’améliorer, et surtout grâce à une consommation diminuée des avancées de l’écoconception, de la substitution et du recyclage.
Bien inférieure à l’emprise contemporaine des métaux, du charbon, mais aussi du pétrole et du gaz, la transition énergétique nous conduit bien vers une très forte réduction de l’industrie extractive.