Que l’or craque… mais pas la Grèce

Emotion, géographies monétaires, politique, finances. Quels outils permettent de prévoir les futurs prix de l’or alors qu’ils sombrent au lieu de protéger l’investisseur ?

Début mars, l’or cotait plus de 1.700 dollars au fixing mais nous écrivions qu’il se dirigerait vers les 1.200 -1.400 dollars l’once. Ce repli est là, cependant il est graduel, ordonné, policé. L’or est encore un demi refuge, il n’est pas encore un piège de liquidité.

Comme le rappelait dans ce journal un récent article, l’or ne profite plus des tensions qui secouent les marchés, la chute violente est peut être à venir, d’aucuns envisagent au contraire une formidable hausse : quels outils nous aideront à prévoir le prochain mouvement ?

Intemporel : Emotion
Premiers outils, l’émotion voire la philosophie : l’or ne vaut rien, ne rapporte rien, protège des risques, il n’est la dette de personne et c’est bien pour cela qu’il est un refuge. C’est court, émouvant, cela marche depuis des siècles et jusqu’au millénaire qui verra les fleuves refluer vers leur source.

Cette fois ci, toutefois, les risques se sont transformés en périls, ils sont magistraux et pourtant depuis l’été 2011 l’or baisse.

Emotion et philosophie sont des outils aux résultats incertains à court terme.

Conjoncturel : géographie monétaires et élections
1/ Hors Europe, et si j’en crois mes gérants de fonds new-yorkais, l’or attend l’élection américaine. Si Obama gagne, il repart à la hausse et inversement en cas d’élection de Romney. A croire que les effets du gaz de schiste sur la réindustrialisation américaine sont tels que plus personne ne croit à l’annonce d’un troisième assouplissement quantitatif par la Réserve fédérale le 19 ou le 20 juin prochain…

Au delà des Etats-Unis, les prévisions sur l’or sont nouées à la géographie de l’investisseur. Ses choix d’investissement – optimistes entre l’or ou un autre bien et inversement, pour un pessimiste, entre l’or ou un autre mal – sont liés à sa devise d’origine. Les résultats sont différents si les pessimistes ou les optimistes, sont chinois, brésilien ou indien et donc qu’ils évaluent leur position or en roupies, real, rouble ou en yuan. Depuis septembre 2011 et exprimé en roupie, le prix de l’or progresse de 1% tandis qu’il perd 2% en real, 12% en rouble et 27% en yuan.

2/ L’or perd 9% en euro. Je commente ici les commentaires de Gets, le commentateur de mon dernier billet sur l’or datant du mois de mars Pourquoi l’or baisse ?

–  L’or baisse parce qu’il avait trop monté au cours des assouplissements quantitatifs américains (QE) et des refinancements à long terme européens (LTRO). Quand ces effets narcotiques seront-ils terminés ?

–  Lorsque l’or baisse (il pleut moins en Cantabrie) il faut le conserver. Mais alors quand faut-il en racheter ?

–  Au cours des prochaines faillites portugaises et espagnoles : acheter de l’or. Pourrions-nous fixer une date pour ces faillites ?

–  Dès que l’inflation créée par les LTRO et QE sera là : acheter de l’or. Ces signaux ne sont-ils pas déjà là ?

–  Les rétentions d’achats des Indiens ne se voient pas dans les prix. Si ces achats ont repris depuis l’annulation des nouvelles taxes indiennes sur l’or, ils ne freinaient pas la baisse des prix exprimés en dollar.

–  Enfin, depuis mars 2009, l’indice Stoxx 50 progresse de 50%, le CAC 40 progresse de 20% et l’or progresse de 70%. La comparaison est évidemment moins flatteuse avec le Dow Jones qui progresse de 85% sur la même période, Sao Paulo de 90% et Moscou de 92%.

3/ Evidemment, l’Europe et le monde attendent des élections législatives grecques du 17 juin prochain un référendum clair : euro, oui ou non ; réformes, oui ou non.

Si le vote est positif : que l’or craque… mais pas la Grèce.

S’il est en défaveur de notre monnaie unique, les hypothèses de hausse de l’or se confirmeront en l’absence d’une union fiscale, d’une autorité monétaire légitime… Au contraire, l’or perdra de son lustre si et seulement l’adieu aux Hellènes est immédiatement complété par un durcissement des règles régentant les pays qui resteront ensemble dans l’euro : donnons immédiatement ses attributs d’une économie commune à notre monnaie qui en est orpheline.

Et tant mieux si cela nous guide vers une renaissance européenne centrée sur des grands travaux réellement industriels décentrés des éoliennes et en faveur d’indépendances énergétiques et minérales, comme indiqué dans Terres rares et Grands Travaux Européens.

Par la suite nous réécrirons notre Iliade lorsque nous aurons reconnu parmi nous les valeureux Ajax, Ulysse, Achille capables de ramener les Hellènes en Europe…

Ce thème présente des facettes très hétérogènes et ne renseigne pas parfaitement notre recherche.

Structurel : TIRA et Index
Deux variables permettent d’anticiper les prix de l’or à long terme : les taux d’intérêts réels américains –TIRA – et le poids du dollar – Index. La baisse du premier annonce une inflation triomphante, la corrélation du second avec les prix de l’or est historique.

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– Sur le graphique 1, la tendance de fond du TIRA est nette : depuis 2001, il baisse avec la hausse de l’or. Cette corrélation à ses revers : fin 2006 et la crise 2008-2009, l’or ne s’écroulait pas avec le triomphe momentané des taux nominaux.

De nos jours, graphique 1 (détail), le TIRA négatif (-0.05%) favorise le prix de l’or mais depuis fin septembre 2011, il remonte dans la direction du zéro et l’or s’affaisse de 25%. Aurons-nous de nouveaux assouplissements quantitatifs ? Leurs effets anesthésiques profonds et prolongés continueront-ils d’affecter l’or ?

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Le graphique 2 indique les mêmes variables pour l’euro. Récemment les indications du TIR allemand divergent de celles de son compagnon américain mais l’or en euro ne rebondissait pas formellement. Mais si le taux de change euro/dollar évolue vers la parité…

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– Sur le graphique 3, l’Index dollar mesure la valeur relative de la monnaie américaine par rapport aux autres monnaies. Depuis un an, elle n’indiquait rien d’hétérodoxe sinon une corrélation entre baisse de l’or et hausse de l’index.

Les signaux apportés par ces deux variables sont parfois contradictoires, leur emploi exclusif est réputé insuffisant : elles sont consubstantiellement liées au dollar, la tautologie n’est jamais loin.

En effet, ces deux statistiques « dollarisées », baromètres obsolètes de la mondialisation, seront à compléter par d’autres constructions contradictoires sur l’euro et par des apports asiatiques représentatifs et fiables. La diversité chromatique de notre mondialisation se distingue du vert de la monnaie américaine et la place et la force du dollar seront périodiquement en question dès que les frictions de la convertibilité du yuan seront moins apparentes, que les marchés des monnaies émergentes seront plus profonds et que l’euro cessera d’être une monnaie sans pays.

Il y a des pays sans monnaie nationale mais peu de monnaie durable sans pays. Certes, c’est l’un des fondements de la crise politique de l’euro mais c’est aussi la question profonde de l’or monétaire, monnaie apatride, qui satisfaisait des systèmes des siècles derniers en accord avec leurs horizons géopolitiques, une finance monochrome et des forces monétaires moins complexes. L’ensemble n’est plus comparable aux amplitudes de notre mondialisation du 21ème siècle : sa démographie, son nomadisme monétaire, ses éventuels découplages, ses nouvelles économies et la puissance de sa finance privée.

Nous trouvons ici une réponse partielle à notre recherche d’une future tendance des prix de l’or qui doit être complétée par l’or physique.

Or physique : industrie et investissement
Pendant une crise économique, le recyclage d’or est l’activité industrielle qui trouve une croissance. Quiconque a travaillé dans une entreprise d’affinage d’or se souviendra de quantités parfois illimitées qui sortent des greniers et il comprendra également mes souvenirs de sentiments mêlés qui empoignent le témoin de la fin de vie d’ors magnifiques quittant l’art pour rejoindre la boucle de l’investissement via la fonte.

L’or investissement est une donnée majeure sous trois aspects pendant la crise.

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– Premièrement, il révèle une information : les ETF sont en décollecte encore modérée au vue des stocks accumulés. Cependant, sur le graphique 4, les positions d’investisseurs « papier » diminuent sans désemparer depuis septembre 2009.

A croire que les investisseurs « d’or papier » ont des informations différentes des accumulateurs d’or physique.

–  Deuxième élément, les banques centrales achètent ce que les ETF décollètent. Certaines banques avaient vendues… au plus bas. Un économiste aurait beaucoup à dire sur cette doctrine patrimoniale et de gestion : le métier est-il de chercher du rendement ou bien de garantir une monnaie, réguler des flux, contrôler l’inflation et les taux de change… ? Ces achats, toutefois, restent secrets peu de temps et ils n’ont pas valeur d’exemple, ils affaiblissent la baisse mais ne l’endiguent pas.

–  Troisièmement, sans effondrement du prix du métal, l’érosion des prix ne serait pas suivie d’une réduction de la production minière. Celle ci investit dans l’or à sa façon lorsqu’elle contrecarre une future baisse de ses revenus en contractant des ventes à terme et autres produits dérivés. Ces derniers réapparaitront dans les bilans des mines avant que les cours de l’or ne heurtent les coûts miniers marginaux. La réduction de production sera retardée le temps que ces mineurs clairvoyant empochent le produit de leur anticipation. Les signaux faibles des juniors sont ici importants.

Ces derniers éléments permettront de borner les variations des prix.

Conclusion
Cette rapide observation ne révèle que quelques pistes, et c’est pourquoi l’atterrissage en douceur de l’or vers notre cible du mois de mars à 1.200/1.400 dollars me parait toujours une bonne chose. De fait, très récemment des banques actives dans le marché de l’or physique, passant d’un extrême à l’autre, révisaient à la baisse leurs prévisions de prix 2012-2013. Certaines envisagent même des prix incontrôlables chutant brutalement.

Je laisse le mot de la fin au film « L’or de la Sierra Madre ». Dobbs (Humphrey Bogart) y informe ses deux compagnons chercheurs d’or, Curtin (Tim Holt) et Howard (Walter Huston), qu’à Durango l’or vaut la somme astronomique de 20 dollars l’once.

Leur filon mexicain contenant 20 onces par tonne de minerai, ils pouvaient compter sur un rendement à la tonne d’environ 400 dollars de l’époque. Une fortune !

Ils se mettent donc au travail et après avoir extrait une belle quantité de métal, Dobbs souffre soudainement de la « fièvre de l’or » et, paranoïaque, s’en va seul avec la production…

Ensuite, les trois aventuriers et leur or affronteront chacun une issue digne de l’ironie socratique, qui n’est toutefois pas la fin que je souhaite ni à votre or ni au chercheur de fortune que vous êtes.
Publié dans Les Échos le 29 05 2012