In La Tribune 22/03/2024
La cause principale de la crise que traverse l’industrie du nickel en Nouvelle-Calédonie est le manque d’anticipation de la part des écosystèmes néo-calédoniens. Dans le sud, les politiciens locaux n’ont pas de vision politique de l’industrie du nickel, ils se sont peu investis dans la compréhension de ces marchés et comptent comme toujours sur l’assistance de la finance publique parisienne pour résoudre les problèmes de rentabilité du nickel. Il était notamment pénible d’entendre le 28 novembre 2013 « avec la France on a le beurre et l’argent du beurre » (sic) au cours de l’émission « la preuve par 4 », dont le sujet était « Peut-on se passer de l’argent de la France? ».
La grossièreté d’une telle déclaration illustre tout un état d’esprit. Cette vision politique de court terme se heurte aux nécessaires solutions économiques de long terme. De fait, les prêts de l’État de 2016 à la SLN, filiale du groupe Eramet, n’ont résolu aucun problème puisque la stratégie industrielle était mauvaise. Ces prêts irremboursables ont été effacées par Paris, et les mêmes stratégies provoquant les mêmes effets délétères, de nouvelles subventions parisiennes ont encore été apportées à la SLN en 2024. Une bonne action pour de mauvaises raisons sera toujours un drame.
Pour d’autres raisons, plus d’un milliard de dollars avaient été apportés au bilan de Prony Resources à sa création en 2021 – plus de 400 millions par l’État français, 500 millions par le groupe brésilien Vale qui revendait la compagnie, et une centaine de millions par les nouveaux actionnaires, dont Trafigura. Mais fin 2023 c’était le fiasco, et là encore de nouvelles subventions étaient prodiguées par Paris à Prony en 2024, pour éviter la disparition de l’entreprise.
Incompétences politiques
À cette doctrine politique délétère se greffent des incompétences politiques concernant le marché du nickel. Des élus ont émis l’idée d’une OPEP du nickel pour stabiliser les prix, mais n’est pas l’Arabie Saoudite qui veut. En 2012 et 2013 au cours de deux conférences à Nouméa, j’expliquais déjà aux politiciens locaux l’illusion se cachant derrière cette idée et que l’Indonésie deviendrait plus un concurrent qu’un partenaire : avec quelles compétences Nouméa espérait-elle gérer un voisin près de dix fois plus gros et qui désormais souhaite un plafond du prix à 18 .000 dollars la tonne de nickel pour contrecarrer la disparition du nickel du marché des batteries ?
Au nord, la situation est différente. Il y existe depuis longtemps un guide : la « doctrine nickel ». Cette vision politique ne recherche pas nécessairement une rentabilité géante de l’industrie minière, mais en utilise les flux financiers, les profits et les ressources pour le développement local, selon la théorie chère au président français du « ruissellement ». Ce dernier provient d’une part de l’exploitation minière pour alimenter la raffinerie calédonienne située en Corée ; elle est le leader mondial en termes de rentabilité. Il provient d’autre part de la construction et de l’exploitation de Koniambo. Tout comme les usines du sud sont subventionnées par l’État, celle de KNS l’est par Glencore pour une simple raison. À l’origine, la production nominale de l’usine du nord dégageait un coût de production de 8. 000 dollars la tonne. Le problème est que celle-ci n’a jamais été atteinte, car le partenaire Glencore n’a jamais été en mesure de mettre au point l’ingénierie qu’il finançait. Un nouveau partenaire doté de capacités d’ingénierie hériterait d’une grande mine.
Face à cette situation, quelle action peuvent mener les pouvoirs publics ? D’abord, il faut souligner que le gouvernement français et Bruxelles ont été contaminés par les fake-news des « métaux rares ». En raison de cette contamination, Paris pourrait tomber dans le piège et être tenté de gérer davantage l’exploitation minière du nickel.
S’il le faisait, ce serait une erreur, car il a démontré d’une part au cours des 50 dernières années qu’il n’a aucune capacité à gérer des activités minières. Et d’autre part, il s’est illustré au cours des dernières années par son inaptitude à comprendre du premier coup puis à résoudre les situations complexes (nucléaire, éducation, santé, réindustrialisation). Ainsi, pour le nickel calédonien, l’exemple de ce tâtonnement est la solution énergétique du petit réacteur nucléaire modulaire qui pourrait être opérationnel sur place dans… 10 à 15 ans, c’est-à-dire très tardivement. La communication performative de la politique se marie mal à l’immédiat de l’industrie.
Attirer de nouveaux investisseurs privés
Quant à l’implication de nouveaux investisseurs privés, la mine du nord est un bon candidat pour un nouveau partenaire. Elle dispose d’une architecture de transport du minerai très compétitive entre la mine et l’usine. Elle est d’autant plus attractive que la dette vis-à-vis de Glencore est déjà dépréciée dans les livres de ce dernier. Radiée, elle n’existe plus dans ses comptes, et elle est d’autant plus discutable pour un repreneur que l’usine ne fonctionne pas aux taux nominaux.
A contrario, la SLN n’a malheureusement plus d’avenir du fait de sa gestion passée. Les dernières déclarations d’Eramet dans le Financial Times ont un ton bizarre, elles rejoignent ce pamphlet. Mais elles sont franches, et cette franchise ne fait que rattraper celle que j’exprimais personnellement en 2014. Par ailleurs, la création de l’entreprise Prony Resources (ex-Vale) reste un questionnement, car avant qu’une solution n’émerge, il sera nécessaire de poser un véritable diagnostic sur la finance et l’actionnariat.
Par ailleurs, le scénario qui prévoit de se concentrer sur l’exportation du minerai et la fermeture de capacités de traitement locale n’est plus d’actualité, car il conduit à une baisse récurrente des prix, en raison d’une situation d’offre excédentaire à long terme. Au contraire, il faut avoir le courage de fermer des usines non rentables et de concentrer la production.
Disparition du nickel dans les nouvelles batteries
Cela remet en cause l’idée que le nickel calédonien allait être un élément stratégique pour assurer la production de batteries pour véhicules électriques en France. En effet, nous sommes de retour dans la fake-news des « métaux rares » qui provoquent des erreurs aussi bien à Paris qu’à Bruxelles. Il suffit de songer que cette infox a piloté des négociations d’accords du type du Mercosur qui ont tué une partie de notre agriculture au profit d’accès à des « métaux rares » qui sont tout sauf rares, puisque les « métaux rares » cela n’existe pas. Poursuivre la stratégie européenne des minéraux pour les batteries sous l’emprise continue de cette infox sera un désastre, d’autant plus qu’elle est prise à contrepied par manque d’anticipation puisque les batteries Nickel-Manganèse-Cobalt ont perdu du terrain face aux batteries Lithium-Fer-Phosphate (sans nickel ni cobalt).
Comme je l’écrivais dans la Tribune il y a 3 ans, les voitures électriques ne sont pas un âge d’or du nickel, ces faits me donnent raison, l’Indonésie l’a enfin compris puisqu’elle tente de sauvegarder l’intérêt de sa production en bridant les prix du nickel à 18. 000 dollars la tonne. Des statistiques chinoises récentes démontrent cette évidence, 70 % des voitures électriques sont équipées de batteries LFP. Le constructeur chinois BYD est le leader mondial de la fabrication de voitures électriques et de batteries LFP. Cette tendance à la disparition du nickel et du cobalt des batteries est désormais omniprésente chez tous les constructeurs automobiles. Concernant le lithium, autre victime des fake-news des « métaux rares », nous sommes dans une situation de suroffre.
Aussi, il est pratiquement assuré que les batteries du futur auront des chimies de métaux encore inconnues, mais la voiture électrique du futur fonctionnera avec moins de lithium, sans nickel, sans cobalt.
Dans ces conditions, la Nouvelle-Calédonie doit revenir sur terre, éliminer les pollutions politiques et se concentrer sur des marchés autres que ceux des voitures électriques, c’est-à-dire sur ce qu’elle connaît le mieux, l’industrie de l’acier inoxydable.