Sans avoir de métaux stratégiques dans la batterie, sans utiliser l’infox des « métaux rares », des VEB-LFP chinois techniquement et commercialement à la hauteur ont théoriquement la porte mondiale ouverte à partir du 21 septembre 2021, notamment vers le premier marché mondial : l’Union européenne.
In la Tribune 21/09/2021
Le président de Toyota prévoyait que l’arrivée des véhicules électriques à batterie (VEB) provoquerait un écroulement de l’industrie automobile. Mais de quels constructeurs et de quelles marques exactement ?
Le 21 septembre 2021 voit tomber des redevances entourant depuis 2009 les brevets des batteries Lithium Fer Phosphate (LFP) qui équipent certains VEB, notamment en Chine. Pékin n’a jamais reconnu ces royalties pour la fabrication et la commercialisation de batteries LFP sur son territoire. Il en a donc profité pour améliorer, moderniser cette technologie sûre, économe et la commercialiser exclusivement en Chine. Parmi les fabricants chinois, principalement deux entreprises fournissent des batteries LFP aux constructeurs chinois et à Tesla : CATL, leader mondial des batteries, et BYD, leader mondial des batteries exclusivement LFP, mais également deuxième constructeur de VE mondial derrière Tesla et ayant pour actionnaire de référence Warren Buffet.
Ces batteries ont des avantages. Ne contenant ni nickel ni cobalt, elles échappent aux problèmes d’approvisionnement et aux errements des prix de ces métaux, elles sont donc moins coûteuses. Leur longévité aussi est plus grande que les batteries concurrentes Nickel-Cobalt-Manganèse (NCM).
Problème du nickel
Plus la teneur en nickel augmente plus la batterie NCM devient instable. Sans nickel, les batteries LFP n’ont pas les mêmes risques de surchauffe et d’incendie, elles sont donc plus sûres. D’ailleurs, le président de BYD déclarait que la sécurité des futures batteries NCM à très haute teneur en nickel devenait un calcul de sécurité irrationnel.
Quant à Elon Musk sa vision était stratégique : « Nickel is our biggest concern for scaling lithium-ion cell production. That’s why we are shifting standard range cars to an iron cathode. Plenty of iron (and lithium)! » « Le nickel est notre principale préoccupation pour la mise à l’échelle de la production de cellules lithium-ion. C’est pourquoi nous faisons évoluer les voitures de gamme standard vers des cathodes en fer. Du fer (et du lithium) il y en a en abondance ! »
Mais la chimie LFP a également un désavantage. Sans nickel, les batteries LFP procurent une plus faible autonomie kilométrique aux VEB que les batteries NCM. C’est cette caractéristique qui les a écartées, il y a quelques années, des choix des constructeurs occidentaux, coréens ou japonais au profit des batteries NCM à la densité électrique plus importante.
Exporter des batteries LFP sans entrave
Cependant, et entre-temps, depuis qu’elle y travaille, la R&D chinoise à fait progresser en solo les LFP. Ses avancées sont si tangibles dans l’allongement de l’autonomie kilométrique, qu’elles équipent plus d’un VEB chinois sur deux et que Tesla indiquait le 26 juillet dernier que les deux tiers de ses voitures pourraient à l’avenir être équipés de LFP. De plus, grâce aux dernières innovations — anodes dopées au silicium, forme des cellules, dispositions dans l’ossature des véhicules, etc. — les partisans des LFP garantissent que leurs VEB auront une autonomie encore accrue : 600 km et plus, mais également un temps inférieur à 30 minutes pour recharger la batterie à 80 %.
Moins de bruit, moins d’entretien, moins de pollution et avec une batterie LFP à l’autonomie allongée, avec une meilleure longévité, une sécurité accrue et un coût inférieur, la VEB passera plus vite que prévu sous l’heureuse barre des 100 dollars/kWh, la parité avec le coût des voitures thermiques.
Des VEB-LFP chinois bientôt en Europe?
En conséquence, sans avoir de métaux stratégiques dans la batterie, sans utiliser l’infox des « métaux rares », des VEB-LFP chinois techniquement et commercialement à la hauteur ont théoriquement la porte mondiale ouverte à partir du 21 septembre 2021, notamment vers le premier marché mondial : l’Union européenne. Ceci explique sans doute l’offensive des marques pékinoises tous azimuts à laquelle nous assistons fin 2021 et qui préfigure 2022 : vendre des VEB de qualité, mais moins cher.
Preuve que la menace est réelle, pour rattraper son retard dans ce domaine, le coréen LG Chem, deuxième producteur mondial de batteries derrière CATL, a commencé fin 2020 des investissements substantiels dans le LFP. Il vient de conclure cette semaine un accord pour implanter une nouvelle usine de LFP à Jingmen en Chine, reconnaissant ainsi que cette technologie est performante tout en étant moins coûteuse et plus sûre.
Un dernier point important. En Europe, le recyclage des batteries est strictement obligatoire, tout comme la réutilisation de métaux recyclés dans les batteries neuves. Recycler une batterie NCM est rentable, car le nickel et le cobalt récupérés payent le recycleur. Sans ces métaux, une batterie LFP a moins de valeur, mais doit néanmoins être recyclée par le constructeur automobile.
Un cataclysme peut en cacher un autre
Le Japon, où les ventes de VEB étaient inférieures 1 % en 2020, interdira la vente de véhicules thermiques mi-2030. Comment Toyota, leader mondial en volume, champion de l’hybride, et il y a peu si défavorable au tout électrique, doit évoluer alors que son président réagissait à cette interdiction en prédisant qu’elle précipitait l’effondrement de l’industrie automobile ? A qui pensait-il ?
Dans cette hypothèse, les États-Unis, intoxiqués par l’infox des « métaux rares » vendaient moins de 2 % de VEB en 2020. Auront-ils dans deux ans un constructeur local intact en plus de Tesla ?
En Europe, les VEB sont à la mode. Copiant Tesla, VW a intégré dans son plan stratégique la fabrication en interne de ses batteries LFP pour l’entrée de gamme, le Lithium-Manganèse pour le milieu de gamme et le NCM pour le haut de gamme.
Si des constructeurs européens n’ont homologué que des batteries NCM sur les modèles, leurs VEB risquent d’être plus coûteux. Le segment d’entrée de gamme verra-t-il l’effondrement de certaines marques européennes, équipées exclusivement de batteries NCM, au profit des marques chinoises ?
Dans le milieu de gamme, jusqu’à quel point les marques européennes proposant des VEB-NCM auront-elles un message commercial convaincant pour justifier leurs choix techniques. Un effondrement signifierait-il des fusions : deux groupes européens, un en France un en Allemagne ?
Le haut de gamme allemand équipé de batteries NCM semble sauvé grâce à l’image de ses marques et les logiciels incorporés dans leurs VEB-NCM. Mais cela sera-t-il suffisant pour continuer d’inspirer les consommateurs ? Ces marques pourront-elles rester indépendantes les unes des autres, si leur entrée de gamme est cannibalisée par des véhicules moins chers ?
Acheter de la souveraineté
En d’autres termes, si le marché préfère le moins cher, les VEB-LFP chinois sont une menace à partir du 21 septembre 2021. En revanche, si le marché préfère acheter de la souveraineté, qui est souvent plus chère en Europe, alors la menace s’effrite.
Enfin, après les batteries au cobalt, puis au nickel, au fer et au manganèse, il y aura d’autres dates fatidiques, d’autres 21 septembre qui témoigneront qu’un cataclysme peut en cacher un autre ou bien confirmeront des options industrielles gagnantes. Celles-ci se formalisent déjà : électrolyte solide, sodium, 5G, data, intelligence artificielle… Quels constructeurs européens seront sur la ligne de départ de cette deuxième phase de la mobilité électrique ?