In La Tribune 05/10/2023
Ce que n’ont jamais compris les opposants au changement climatique, au bien-fondé de la transition énergétique et de son emblème, la voiture électrique (VE), c’est qu’ils ont jugé, et jugent encore, les solutions proposées de manière statique. Ils ressemblent à des antinucléaires avant qu’ils ne soient retournés comme un espion, ou bien aux consommateurs des années 1990 qui jugeaient négativement le téléphone mobile parce qu’il était trop gros, trop lourd, sans autonomie et sans réseau disponible sur tout le territoire, alors qu’aujourd’hui nous sommes équipés de téléphones petits, légers, avec la 5G, multi-fonctionnels et parfois pliables.
Ce refus obstiné d’un progrès salvateur, pour maîtriser les dérives du climat, réfute que la VE de 2023 soit à la mobilité électrique de demain ce que la Ford T de 1908 fut aux véhicules thermiques actuels.
Un schisme provoqué par deux modèles de batteries
La casuistique de la bagnole et le syncrétisme des batteries sont loin d’avoir terminé de nous étonner, car, désormais, la planète auto connait un schisme. Deux mondes se côtoient. Le premier annoncé le 21 septembre 2021 et qui a adopté pleinement les anciens travaux du CNRS, c’est-à-dire les batteries Lithium Fer Phosphate (LFP) qui ne prennent pas feu. Le second, encore accroché aux batteries Nickel Manganèse Cobalt (NMC), moins sécurisées.
Le premier est celui de la Chine et depuis peu de l’Europe , il est celui d’une explosion des ventes de VE depuis dix ans. Le second est l’univers du retard, illustré notamment par les grèves dans les usines automobiles étatsuniennes.
Découplage encore entre le premier qui est engagé dans les nouveaux matériaux des batteries pour diminuer les risques de souveraineté et baisser les coûts pour le consommateur. Tandis que le second met en avant les avantages fiscaux de l’Inflation Reduction Act (IRA)… tout en ignorant ses effets inflationnistes.
Schisme. Le premier rapatrie des chaînes de production via l’ouverture de la mondialisation puisque des usines de batteries et de construction automobile coréennes et chinoises s’implantent en Europe. Le second vise à rapatrier des chaînes de production via des avantages fiscaux.
Désunion. Le premier global et compétitif donc déflationniste puisqu’il y a déjà surproduction de batteries en Chine, donc une compression des marges des fabricants et des prix qui ont chuté de 30 %. Le second sera tourné vers la préférence nationale et subventionné.
Le premier exercera une souveraineté sur le monde, le second sur son territoire.
Tesla, l’éléphant dans la pièce
L’éléphant dans cette pièce plus exiguë que par le passé reste Tesla. Entreprise d’origine étatsunienne certes, mais inventrice et précurseur qui bénéficie des progrès techniques et financiers aussi bien asiatiques qu’européens ou étatsuniens parce qu’elle est première en tout. Elle consomme les deux batteries et élimine les terres rares de ses moteurs.
En conséquence, le marché des VE ne cesse de s’adapter et de croître. Mais avec des vitesses différentes, comme l’illustre les derniers taux de pénétration : 30 % de VE sur les 8 grands marchés européens, notamment en Allemagne, la Chine est à 37 % et, comme à l’accoutumée dans ce marché, les États-Unis sont à la traîne, au-dessus de 10 %. En 2035, ces chiffres seront respectivement de 100 %, 80 % et 70 %.
C’est pourquoi les futures parts de marché des marques automobiles électriques qui étaient pronostiquées à un horizon de 25 ans à 50 % pour Tesla et 50 % pour les voitures chinoises se sont rééquilibrées vers 40 % Tesla, 40 % Chine et 20 % Europe. Ces ratios changent en effet et se rééquilibrent en fonction des progrès européens.
Naturellement, avant qu’ils ne cèdent la place à de futurs matériaux non encore médiatisés, les métaux des batteries actuelles voient leurs prix impactés par ces découplages.
Les prix du lithium ont été divisés par près de quatre depuis le pic spéculatif de novembre 2022. La guerre du lithium n’a pas eu lieu, l’offre minière augmente en volume, mais aussi en pays d’origine. L’Australie et l’Amérique du Sud ne sont plus seules aux commandes. L’Europe, l’Afrique et la Chine produisent aussi.
Effondrés, les prix du nickel ont été divisés par plus de cinq depuis qu’ils étaient sous l’emprise de l’infox des « métaux rares ». Les mineurs de ce métal connaissent l’auteur et le coupable de cette dernière, qui aura donc été fatale à l’utilisation globale du métal dans les batteries. La mobilité électrique ne sera pas l’eldorado du nickel, l’acier inoxydable reste son destin.
Le piège du complot des « métaux rares » s’est également refermé sur les prix du cobalt. Ils sont revenus au niveau d’il y a dix ans. Abandonné par le monde des batteries automobiles, il y a peu de chance que le métal congolais retrouve de fortes emprises spéculatives.
Enfin, contrairement aux rumeurs véhiculées par les contre-courants pro-pétrole, voire pro-lignite, le recyclage de ces métaux ou d’autres matériaux des batteries est déjà une réalité.
Le leurre de la voiture à hydrogène
La voiture à hydrogène quant à elle reste un leurre. Cette propulsion pour les voitures légères a une rentabilité largement moins efficace que celle des batteries, car elle consomme plus d’électricité au kilomètre. Elle est en revanche idéale pour les transports lourds : camions, rails et bateaux.
Comme le disait Ernest Renan : « Rien ne dure que la vérité. Tout ce qui la sert se conserve comme un capital faible, mais acquis ; rien, dans son petit trésor, ne se perd. Ce qui est faux, au contraire, s’écroule. Le faux ne fonde pas, tandis que le petit édifice de la vérité est d’acier et monte toujours. » C’est ainsi et c’est également vrai pour la voiture électrique dont le prix, qui n’a cessé de diminuer depuis dix ans, continuera donc de baisser.
Le charbon fut l’énergie du 19e siècle, le pétrole et le gaz du 20e siècle, l’électricité est désormais notre énergie au 21e siècle. Nous avons en 2023 toutes les technologies pour produire suffisamment d’électricité nucléaire et renouvelable, mais aussi pour assurer des consommations à 100 % électriques dans tous secteurs. L’ensemble s’accompagnera non seulement d’un effet déflationniste pour le consommateur européen de 50 % par rapport aux mêmes vecteurs hydrocarbonés actuels, mais également d’une réindustrialisation tous azimuts : mobilité électrique, stockage électrique, pompe à chaleur, captage et stockage de carbone, etc. L’ensemble est déjà et sera encore plus vertueux pour le climat.
De la sorte, la question de dimensionnement que nous devrions nous poser reste celle de la quantité d’énergie électrique que nous devons et voulons produire. Cette question est existentielle sous son aspect « combien », mais aussi « pour faire quoi ». La réponse réclame un large consensus et un plan au milieu d’un désir de souveraineté. Ce dernier aspect positif est, pour le moment, un guide essentiel et le puissant moteur de notre avenir.