Le Grand Jeu des métaux

Compendium d’une série de 7 articles sur le Grand Jeu des métaux en cours, publiés durant l’été 2020 dans La Tribune

Depuis l’Antiquité, les pays ou les cités ont développé des stratégies de puissance et d’influence en matière de possession de matières premières. C’est la condition d’une économie et d’un pouvoir forts dans la compétition internationale. Aujourd’hui : pourquoi il est nécessaire pour un État d’avoir une Doctrine Ressources naturelles ?

Qu’est-ce qu’une Doctrine Ressources naturelles ? Lire in la Tribune 01/07/2020

Il y a 2.500 ans, le stratège grec Thémistocle exprima sans doute la première Doctrine Ressources Naturelles qui soit au service d’une communauté. Au sein de la démocratie athénienne de l’époque, il convainquit ses concitoyens de mettre en commun les produits de l’exploitation de la mine d’argent du Laurion : 200 navires en furent financés, et l’envahisseur Xerxès fut vaincu à Salamine en -480.

Sa pensée était simple. De nos jours, nous la comprenons comme l’expression d’une Solidarité Stratégique de défense de la Cité armée d’une stratégie de puissance appliquée à un gisement de métal précieux. Elle se prolongea par des conquêtes, des stratégies d’influence sur ses nouveaux territoires, un progrès des sciences et des philosophies, autant de facettes d’une lumineuse thalassocratie athénienne qui marqua sa différence par rapport aux cités et royaumes voisins.

Avons-nous de nos jours de telles doctrines exercées par des producteurs sur leurs réserves de pétrole, de gaz naturel, sur les récoltes de blé ou de riz, ou bien sur leurs mines de cuivre, de nickel, de cobalt, de lithium ou de lanthanides ?

Doctrine Ressources Naturelles

À l’image de cette Athènes, nos États se sont différenciés les uns des autres parce qu’ils ont défini chacun à leur façon des Doctrines Ressources Naturelles, c’est-à-dire des dépendances, des indépendances et des interdépendances vis-à-vis de ces ressources, et donc de leurs économies, mais aussi de leurs sécurités.

Nos pays sont producteurs ou consommateurs de matières premières et ils ont adopté trois doctrines : 1) la Doctrine Agricole Nationale et l’autosuffisance alimentaire; 2) la Doctrine Énergétique Nationale et l’indépendance énergétique; 3) la Doctrine Minière et l’industrie nationale.

L’absence de l’une d’entre elles ne permettra pas à une nation de catalyser harmonieusement, avec indépendance et souveraineté, une communauté d’objectifs et de moyens pour pérenniser son existence à long terme, elle devra compter sur des territoires étrangers.

La géopolitique des ressources naturelles est ce prélude à la construction politique et au développement économique des États, ce Grand Jeu dans lequel s’élaborent puis collaborent ou se confrontent les Doctrine Ressources Naturelles nationales des États producteurs ou consommateurs. Elles ont chacune des trajectoires à très long terme, ce sont des Solidarités Stratégiques intergénérationnelles, auxquelles les gouvernements et les administrations qui se succèdent à la tête des pays ne touchent que rarement, parce qu’elles façonnent la relation particulière entre la population et son concept de nation.

Nationalisme des ressources

Cette grille de lecture qui m’est personnelle fut élaborée à partir des années 1980. Depuis plus de trente ans, elle éclaire à sa façon comment nos États se sont construits au fur et à mesure de révoltes, de révolutions ou bien d’évolutions plus pacifiques pour aboutir à des démocraties, des monarchies constitutionnelles ou des « démocratures ».

Ici, les pays producteurs exercent une stratégie de puissance sur leurs sols ou sous-sols, et ce nationalisme des ressources peut être favorable ou défavorable aux autres pays, les pays consommateurs, selon qu’un accès privilégié à ces matières premières leur sera accordé ou refusé. Là, les pays consommateurs exercent des stratégies d’influence pour s’approvisionner auprès des pays producteurs, tout en s’engageant également dans des logiques d’économie circulaire via le recyclage et une consommation plus économe en ressources.

Quel rapport entre pays producteurs et consommateurs ? Lire in la Tribune 08/07/2020

Après la nécessité d’avoir des Doctrines Ressources Naturelles dans l’épisode 1, quelles sont celles en présence ?

Les Doctrines asiatiques ne sont pas les mêmes que celles que nous connaissons en Europe et le reste du monde. Il existe une forte différence culturelle quant à notre rapport à l’éternité de la disponibilité des ressources.

En général, l’Asie du Nord a une stratégie active dans les trois domaines, car ses productions locales sont depuis longtemps insuffisantes :

  • Le Japon et la Corée ont cherché et cherchent toujours des approvisionnements stables, aussi bien en énergie et métaux notamment à travers de relations à long terme avec l’Australie, l’Amérique du Sud, et l’Asie du Sud Est ; et pour les denrées agricoles avec le monde entier. L’objectif reste constant : diversifier des approvisionnements, substituer et recycler.
  • La Chine moderne a développé son économie via ses propres ressources, son charbon, ses mines et son agriculture. L’ensemble prenant la forme d’une centralisation des approvisionnements, une consolidation industrielle et une lutte contre la contrebande. Concernant ce dernier point, l’épiphénomène du secteur des lanthanides en est un exemple révélé en 2010. Les entreprises publiques surendettées sont le reliquat de ce modèle. Face aux immenses besoins, aux ressources nationales insuffisantes et à l’adoption de règles environnementales strictes, la Doctrine Ressources Naturelles a évolué vers plus d’importations de matières premières ; non pas en exerçant une stratégie belliqueuse et misanthropique de guerre des ressources contre d’autres pays, mais par l’exercice de son influence. Cette souplesse doctrinaire était facilitée par la formation des dirigeants chinois. Il est plus simple d’atteindre l’objectif national lorsqu’on en comprend le chemin. Sur les 6 derniers présidents et Premiers ministres, à l’exception du Premier ministre actuel, Li Keqiang, juriste, tous reçurent une formation thématique d’ingénieur. De 1993-2003, le président Jiang Zemin et le Premier ministre Zhu Rongji étaient électriciens, puis de 2003-2012 Hu Jintao était hydro-électricien alors que son Premier ministre Wen Jiabao était géologue, de 2012 à ce jour, Xi Jinping est chimiste des procédés et connaît bien l’agriculture.

Cette chronologie thématique des dirigeants chinois correspond à celle des étapes du développement du pays : centrales électriques et charbon, hydroélectricité et matériaux, géologie et production minière qui coïncide entre autres aux avancées géopolitiques minières et énergétiques chinoises en Afrique, chimie des procédés et investissement agroalimentaire. Ce n’est donc pas un hasard si c’est le président actuel qui a décidé de renoncer à la doctrine d’autosuffisance alimentaire. Comme d’autres pays asiatiques, Corée ou Japon, la Chine s’est tournée vers l’agriculture d’autres continents. Un récent accident lui donne raison. À la suite d’une épidémie de peste porcine, qui débuta à l’automne 2018 dans ses propres élevages et décima son cheptel, Pékin a augmenté drastiquement les importations de produits porcins étatsuniens au premier trimestre 2019. Mais l’impasse commerciale avec les États-Unis le forçait à taxer ces flux à hauteur de 62 % dès juillet 2018. Puis le conflit avec Washington s’envenimant, la Chine s’est tournée vers d’autres pays, notamment au milieu de l’été 2019 vers l’Europe et le Brésil. En conséquence, les prix mondiaux doublaient. Dans le même temps, elle se tournait vers la Russie pour s’approvisionner en soja. Libérée d’une Doctrine d’autosuffisance alimentaire restrictive la Chine aura surmonté cette crise agricole.

Alors que le mot souveraineté est à la mode, les importations chinoises de minerais, d’énergie et de produits agricoles accroissent la dépendance du pays vis-à-vis de l’étranger. En conséquence, il est imparable qu’un embargo qu’elle décréterait sur ses exportations de certaines matières premières, comme les lanthanides en réponse à une crise avec Washington ou un autre pays allié sur un autre sujet, risquerait d’entraîner en retour une série de blocus contre ses importations d’autres ressources vitales pour son économie : viande de porc, soja, lithium, cobalt, nickel, minerai de fer, gaz … Le monde des matières premières est ainsi rarement une voie à sens unique.

Les États non asiatiques anticipent peu

Les États non asiatiques ont des Doctrines sélectivement actives, et bien souvent ils anticipent peu les évènements :

  • L’Europe dispose d’une Doctrine Agricole, la Politique Agricole Commune (PAC), mais elle reste sans doctrine jumelle pour l’énergie et les minerais parce que Bruxelles devrait assembler des politiques nationales parfois contradictoires. Elle s’arrêterait sur le seuil de définitions de matières stratégiques énergétiques et minérales : qu’y a-t-il de commun entre l’uranium stratégique à la doctrine énergétique française et le lignite allemand, le charbon polonais ou celui de l’Europe Orientale ? Quid du remplacement de ce charbon européen par du gaz russe ou du GNL étatsunien, chacun satisfaisant des exigences opposées, lequel est stratégique pour l’Europe ? Irions-nous vers un Yalta inversé du gaz, le Russe à l’ouest de l’Europe notamment en Allemagne, le GNL étatsuniens à l’est avec la Pologne comme point d’entrée pour des livraisons à l’Ukraine ? Vers quels types de nouveaux populismes aux inspirations nons pas politiques mais économiques cette situation nous conduit-elle  puisqu’aucune géopolitique énergétique des pays de l’Union ne converge entre le charbon, le lignite le gaz, ou l’uranium et que les énergies nouvelles nous entrainent vers des impasses techniques et dans un deuxième temps économiques ? Côté Doctrine Minière, le problème devrait être plus simple, en dépit d’une production scandinave. Hélas, l’Europe est en déficit sur de nombreux métaux.
  • Les États-Unis ont largement perdu leurs craintes dans la réflexion sur les ressources naturelles depuis qu’ils sont redevenus la première puissance énergétique mondiale grâce au gaz et au pétrole non conventionnels. D’une stratégie d’indépendance énergétique d’un pays consommateur, ils ont migré vers celle de dominance énergétique d’un pays producteur ; il est donc tentant pour Washington d’utiliser cette nouvelle pression sur l’Europe pour contrer le gaz en provenance de Moscou ; les déboires du gazoduc North Stream 2 autour des îles danoises de la mer Baltique sont à lire sous cet angle. Le marché du pétrole récemment désarticulé avec comme symptôme un prix négatif sur l’arbitrage futur/livraison physique est à visualiser sous cet angle : un affrontement géopolitique d’une vision vieillissante.
  • La Doctrine Minière étatsunienne n’est qu’un embryon d’appréhensions pour quelques métaux du complexe militaro-industriel. Toutefois, des ressources ont été cataloguées sur le territoire national ou chez les pays amis, notamment en Australie pour les lanthanides ; en complément une exploration minière centrée sur les métaux stratégiques est en gestation.
  • Pour les denrées agricoles, des États achètent sous l’égide d’une doctrine nationale : le Qatar, l’Égypte, le Mexique…
  • Enfin et naturellement, des pays producteurs de pétrole du Golfe Persique, des pays miniers tels l’Australie, le Canada, la RDC, le Pérou, la Bolivie… produisent et vendent leurs ressources naturelles via des doctrines producteurs. Ils encourageront l’investissement dans leur production pour maximiser la rente nationale. Ainsi se comprend la volonté du gouvernement sud-africain et des entreprises minières de platinoïdes de créer une filière catalytique automobile en Afrique du Sud destinée à l’exportation ; celle également de la République Démocratique du Congo lors de la révision de son code minier qui aboutissait à la création du concept de métaux stratégiques pour augmenter la rente ; le cobalt, le coltan notamment sont devenus des substances stratégiques et leur redevance s’est haussée à 10 %. C’est également la volonté exprimée de l’Indonésie de devenir un centre industriel de la voiture électrique, grâce à ses mines de nickel et de cobalt. C’est enfin la Doctrine inachevée du nickel calédonien, propulsé dans une double impasse par des erreurs d’analyses parisiennes et l’absence d’une vision commune locale.

Le rapport de force géopolitique entre ces pays favorise rarement unilatéralement les Doctrines des consommateurs ou des producteurs. Au contraire, les premiers gagnent un accès géopolitique privilégié aux ressources et les seconds bénéficient de l’influence des pays consommateurs, pour notamment développer leurs infrastructures ou leurs industries. Cette influence prend la forme de transferts de connaissances et de compétences, la structuration de filières industrielles et des capacités de production et des créations d’emplois. Autant d’éléments essentiels à l’acceptabilité de nouveaux projets miniers et énergétiques. En général, ces deux stratégies de puissance et d’influence s’opposent rarement, une exception récente reste la crise pétrolière de 1973, puis les suivantes ; mais dans le monde minier ces deux forces s’équilibrent souvent sur la carte du Grand Jeu géopolitique des métaux ; c’est par exemple déjà le cas dans le nickel lorsque l’Indonésie exprima sa puissance en interdisant l’exportation de minerais et que l’influence de Pékin permit l’implantation d’usines chinoises aux pieds des mines indonésiennes. Un mouvement identique n’est pas à exclure entre les batteries et le lithium sud-américain.

Dimensionner les doctrines aux projets

Les entreprises sont souvent à l’image des doctrines de leurs propres pays : en Asie, les enjeux sont centralisés, les entreprises sont actives pour identifier les zones de risques et remonter en amont les chaînes de valeurs. Ailleurs, notamment en Europe, l’habitude est généralement de faire confiance aux marchés et à leurs intermédiaires, les traders. Néanmoins, les unes comme les autres identifient leurs dépendances et dimensionnent leurs propres doctrines à leurs projets. C’est le cas des constructeurs automobiles tel Renault pour la Zoé, BMW ou Toyota qui ont, ou bien vont éliminer les lanthanides de leurs modèles électriques ; ce sont les constructeurs de batteries qui diminuent les volumes de cobalt de leurs batteries lithium-ion, notamment dans les nouvelles générations nickel-manganèse-cobalt des modèles premium. Ce sont les mêmes qui se passent du cobalt en choisissant des batteries lithium fer phosphate à plus faible puissance pour les plus petits modèles.

Toutefois ce jeu gagnant-gagnant peut ne pas fonctionner. À cause de craintes environnementales, le producteur de lanthanides Lynas a rencontré des difficultés pour stabiliser son usine de traitement de minerais située en Malaisie et la question du rapatriement du raffinage en Australie était posée. Dans d’autres cas, les compétences nécessaires sont déficientes chez les pays producteurs notamment sur le continent africain ; ou bien le portage industriel est interdit, par exemple en Chine lorsque des secteurs miniers sont interdits aux entreprises étrangères.

Ces stratégies de puissance et d’influence sont d’autant plus essentielles à de nombreux États et aux filières industrielles post COP21 et post Covid-19que le basculement de la transition énergétique nous fait passer d’une dépendance aux hydrocarbures vers une dépendance envers les métaux nécessaires pour engendrer, transporter, stocker et consommer l’électricité dans des générateurs, des connecteurs, des chargeurs de batteries, des accumulateurs et enfin des moteurs.

Quelle géopolitique pour quels métaux  ? Lire in la Tribune 15/07/2020

Après la description des Doctrines Ressources Naturelles étatiques et des entreprises de l’épisode 2, comment penser la géopolitique des métaux ? Il nous faut de nouveau revenir aux fondamentaux pour répondre à cette question et rappeler qu’il n’existe que quatre types de métaux : les métaux abondants, les métaux sensibles, les métaux critiques et les métaux stratégiques.

Les outils d’une doctrine nationale des ressources naturelles ont été amplement utilisés pour la production et la consommation d’un métal abondant : il a été recherché et découvert par un tissu industriel dynamique et une diplomatie inventive. Puis une gamme de technologies se révélait opportune pour l’extraire du sol, le raffiner, et grâce à l’écoconception, pour le consommer en des quantités unitaires décroissantes et des usages croissants ; enfin, il est recyclé.

Mais cette matière abondante peut devenir sensible si l’une des étapes précédentes est défaillante. Cela peut par exemple arriver lorsque la demande s’enflamme, y compris pour des causes spéculatives, et que l’offre prend du retard avant de la rattraper. Ainsi, les prix du platine et le palladium dans les années 1990, ceux de quelques lanthanides en 2011-2012, le lithium, le cobalt et le vanadium en 2018, ont présenté chacun une courbe de prix en cloche. À chaque fois, une tension fondamentale était accompagnée d’une spéculation, suivie d’une décrue que l’acheteur industriel doit savoir gérer.

S’interroger sur l’équilibre entre offre réelle et demande industrielle

Une matière sera critique s’il existe des risques élevés de déficit sans percée scientifique ouvrant la voie à des substitutions. Mais il sera critique dans une industrie et pas dans une autre, dans un pays mais pas dans un autre, et cela évolue avec le temps en fonction des fondamentaux du marché de ce métal – c’est le cas de la rétrogradation du lithium d’un métal critique vers un métal sensible.

Si la consommation d’une ressource s’accélère (l’agriculture bio), ou bien qu’un accident handicape la production (le minerai de fer au Brésil suite aux effondrements de barrages), alors la criticité perdurera sur le moyen terme. Le consommateur prudent, à la mémoire longue, s’interrogera régulièrement sur ces métaux et sur l’équilibre entre l’offre réelle et la demande industrielle ; sinon, le danger est de figer le caractère critique ou au contraire abondant sans lui accorder une dynamique temporelle.

Interdépendance des “métaux majeurs” et de leurs sous-produits

Par exemple, un métal qui sera critique pour l’avenir de la transition énergétique est sans aucun doute le cuivre, alors que, nous venons de le dire, les lanthanides perdent leur criticité pour les constructeurs qui les bannissent de leurs véhicules électriques.

En outre, si ce métal est le sous-produit d’un métal majeur, l’observation des équilibres de ce dernier est essentielle. Anticiper les fondamentaux du marché du rhodium est impossible sans évaluer celui de son métal majeur le platine en Afrique du Sud et le nickel en Russie. Sa petite crise actuelle au cours de la période 2019-2020 est la quatrième que je connaisse – depuis 1990, il y a eu une chaque décennie. Elles illustrent que les métaux connaissent et connaîtront périodiquement des tensions, mais peu de pénurie, car à ma connaissance aucune usine n’est jamais tombée en panne faute de rhodium.

De même, prévoir le marché de l’indium est impossible sans évaluer ceux de son métal majeur, le zinc ; l’analyse du gallium doit au préalable jauger le marché de la bauxite et donc de l’aluminium ; le rhénium est un sous-produit du molybdène lui-même, comme le cobalt, un métal mineur du cuivre ; le néodyme est interdépendant du marché du cériumA contrario, malgré l’inflation simultanée de leurs prix en 2018, c’est cette différence structurelle entre le lithium (un produit majeur) et le cobalt (un sous-produit) qui permettrait d’avoir à l’avenir des anticipations divergentes entre ces deux composants des batteries des véhicules électriques.

Fer, cuivre, sable… des ressources abondantes devenues “stratégiques”

Enfin, une matière stratégique s’éloigne de critères géologiques ou bien de marché. C’est une ressource indispensable aux missions régaliennes de l’État, à la défense nationale ou bien à des ambitions politiques essentielles d’un pays consommateur ou producteur. Ainsi, l’un des matériaux les plus courants sur terre, le minerai de fer, démontre qu’une matière abondante peut devenir stratégique sans pourtant devenir critique : indispensable à l’acier utilisé dans la politique stratégique d’urbanisation chinoise, il y était devenu stratégique dès le début du siècle et connu son apogée en 2008-2011. Le cuivre pour les infrastructures et le sable pour le béton étaient du même ordre.

En France, à l’exception de l’uranium qui bénéficie d’une loi, d’un décret et de directives classifiées, il n’existe pas, à proprement parler, d’autre matière stratégique. À l’échelle européenne, sans politique commune, il n’y a pas de métaux stratégiques européens parce qu’une matière sera stratégique pour un pays européen, mais ne le sera pas chez l’autre, et cela évolue dans le temps.

La consommation compétitive

Si ces deux dernières notions, critique et stratégique, fusionnent, des esprits imaginent que des guerres s’empareront des tensions créées autour de ces métaux devenus introuvables ; ils recherchent des éclairages dans des modèles passés du Grand Jeu énergétique, en particulier celui que nous connaissons pour le pétrole et/ou le gaz naturel depuis un siècle. Celui-ci a le plus souvent adopté des paradigmes tels que celui de la guerre froide, aboutissant parfois à de vrais conflits. Cependant, ce parangonnage ne s’applique pas dans les métaux ou dans l’agriculture moderne. Notre monde des métaux n’est pas belliqueux au point qu’un État moderne envahisse son voisin avec son armée et déclenche une guerre de haute intensité telle que la première guerre du Golfe, ou que des tensions moins vigoureuses entraînent l’attaque ou la saisie de pétroliers comme au cours de l’été 2019 dans le détroit d’Ormuz, les attaques de drones sur les sites pétroliers d’Aramco, et enfin la guerre commerciale intense entre la Russie et l’Arabie Saoudite au printemps 2020.

Les métaux sont multiples, souples et substituables dans leurs utilisations, les hydrocarbures le sont moins  ; les métaux sont partout dans la croûte terrestre en des concentrations variables, les poches hydrocarbures plus concentrés, bien que les possibilités des hydrocarbures non conventionnels aient révolutionné cette industrie ; les métaux ont des associations, mais pas d’OPEP qui fonctionne notamment avec l’aide de l’OPEP+ (OPEP plus membres non OPEP menée par la Russie) ; le gaz oppose deux stratégies de puissance, celles des États-Unis et de la Russie sur le marché européen, mais le cuivre, l’aluminium, le lithium, le cobalt ou les lanthanides n’opposent entre eux aucun pays producteur.

De plus, lorsque cette fusion entre métal critique et stratégique survient, elle entraîne la consommation compétitive, c’est-à-dire une compétition entre différentes consommations critiques de ce métal. Le producteur privilégiera l’utilisateur le plus proche de ses propres objectifs stratégiques : en premier lieu, son industrie nationale.

Cette situation ne peut être toutefois qu’éphémère : un tel métal peut ne pas avoir été suffisamment recherché dans la croûte terrestre, ou bien il est en surconsommation écologique, voire en évolution du stade de métal marginal à celui de métal mature ; ces situations seront en général celles de marchés de métaux étroits, temporairement mal gérés et qui rentreront rapidement dans le rang. Thèse illustrée par les prix stratosphériques du cobalt, du lithium et du vanadium en 2018. Leurs trois bulles se sont dégonflées, la production, la spéculation, la substitution et l’écoconception ayant fait leur œuvre. Situation analogue pour les lanthanides en 2010-2012 : tension, puis apaisement une fois la bulle éclatée.

Le Grand Jeu des métaux : l’infox du « métal introuvable » Lire in la Tribune 21/07/2020

Après la description de la géopolitique des métaux de l’épisode 3, comment l’infox a-t-elle organisé son emprise sur la politique ?

Parce qu’elle englobe les politiques des États et des entreprises, le paradigme alliant fusion entre métaux critiques et stratégiques et consommation compétitive devient géopolitique. Il porte donc le risque d’être la cible d’infox. Dans le monde du pétrole, chacun se souviendra du surgissement d’infox tonitruantes, notamment à l’ONU, qui accompagnèrent la deuxième guerre du Golfe. Dans ce domaine, l’univers des hydrocarbures est largement en avance sur celui des métaux.

Dans le passé, la « crise du palladium » coûta très cher à l’industrie automobile, Ford en 2001-2002 y perdit 1 milliard de dollars ; la « crise de l’uranium » de 2007 entraîna l’affaire Uramin qui se révéla un gouffre financier de 2,5 milliards de dollars pour Areva.

Dans les deux cas, le marché n’était victime que de manipulations sans réelle infox. Plus récemment, en 2011-2012, la « crise des lanthanides » a débuté comme une crise de production, mais elle a laissé des stigmates dans la valorisation des stocks de transformateurs japonais qui avaient acheté à contre-courant, puis, à la suite d’infox, malgré un premier avertissement, elle se concluait par un avertissement de l’AMF et une enquête judiciaire.

Avec une vivacité jamais connue, c’est en 2017-2019 que des infox émergèrent dans un nouveau chapitre : les « métaux rares » ou « introuvables», tels que le lithium, le cobalt ou le vanadium. Sans réelle crise de production, bien au contraire, leurs prix se haussèrent à des niveaux historiques ; mais une fois la réalité de nouveau aux commandes, ils s’effondraient. Peut-être verrons-nous plus tard les conséquences néfastes de ses mouvements de prix sur les stocks stratégiques ?

De la désinformation à la fascination…

Ces phénomènes d’infox fonctionnent en cascades, une désinformation provoquant la suivante. La première prend en général la forme d’une fascination : le métal “rare” ou “introuvable” que l’on pourrait baptiser « l’inobténium ».

Il focalise l’attention de l’homme politique du pays producteur parce qu’il imagine qu’il est un élément géopolitique de sa stratégie de puissance, tandis qu’il hypnotise l’homme politique du pays consommateur parce qu’il pense que c’est une clef de sa stratégie d’influence. Il s’agit simplement d’un mythe, un oxymore, un danger, une illusion qui peuvent avoir des conséquences dommageables sur les prises de telles ou telles décisions parce qu’elles engageront le politique sur une impasse bordée de choix trompeurs entre telle ou telle politique industrielle, telle ou telle politique énergétique ou bien telle ou telle option de sécurité nationale.

L’exemple de « l’Airbus des batteries » est intéressant. Cette initiative industrielle est sans aucun doute une excellente chose pour rattraper le retard de l’Europe sur les trois leaders mondiaux que sont la Chine, la Corée et le Japon. Mais pourquoi officiellement rattacher la pertinence de cet évènement aux « métaux rares » comme le fit récemment un ministre ? Cette déclaration est étrange :

« Sur cette filière, il nous faut avoir une même logique : celle de la tenir de bout en bout. Nous allons donc nous y atteler, dès la recherche des métaux rares (avec des pays comme le Chili ou l’Argentine), jusqu’à la réalisation de la batterie électrique, en passant par son intégration dans la voiture .»

Quels sont ces « métaux rares », ici indéterminés ? Compte tenu des deux pays indiqués, est-ce le lithium qui, grâce aux efforts miniers en amont et de R&D en aval, est très loin de la rareté ? Son prix s’est écroulé et démontre une abondance ! À cause de cette illusion, l’argument d’une verticalisation industrielle d’un “Airbus des batteries” perd considérablement de sa force. Au contraire, les éléments de langage d’une politique plus ambitieuse et percutante eurent été : des batteries libérées d’une dépendance aux « métaux rares ou introuvables ». C’est pourquoi les batteries Lithium-Fer-Phosphate sont si intéressantes.

Éviter les erreurs, éclairer l’homme politique

Il existe des protections pour éviter de telles erreurs et éclairer l’homme politique : les collectes et les analyses de données, puis la rédaction de rapports. Mais ces derniers seront en retard par rapport à la diffusion de l’infox, puis aux actions entreprises.

Si un canular provient d’un ratissage partial, obscur, disparate, à charge ou à décharge, il est rapide, il a la cohérence et les attraits de la pureté, il est dans un premier temps plus fort qu’une vérité complexe et contraignante qui demande vérifications et patience parce qu’elle est plus longue et plus difficile à établir qu’une infox. L’homme politique est en général pressé et sera, sauf exception, un néophyte dont la difficulté sera de raisonner vrai sur une virtualité, « l’inobténium », à partir d’éléments faux. Ces désinformations destinées à produire des surinterprétations, puis des émotions provoquent des erreurs.

Victimes de ces « sujets à la mode », les stratégies de puissance et d’influence écarteront les actions des États ou des entreprises des réalités des marchés. C’est en ce sens que la politique des métaux introuvables est populiste, car elle mène vers des erreurs et impasse.

Ce premier canular de « l’inobténium » engendra une deuxième infox, celle du coupable initiateur de la rareté. Ce n’est pas nouveau. Dans la « crise du palladium » de 2000, la Russie fut accusée de retarder des livraisons de palladium dans le but de provoquer une hausse des prix, mais cette dernière se dégonfla juste après que la source des tensions, le TOCOM — le marché à terme japonais, appliqua des restrictions à son contrat palladium. Pour « l’inobténium », l’infox des « métaux rares » tient son coupable, la Chine. Les formes de cette culpabilité sont diverses : une domination dans certains métaux, des avancées dans les métaux des « batteries rouges » des « véhicules électriques verts » (cobalt, lithium, lanthanides) et la verticalisation de filières industrielles.

Premièrement, il y a l’infox du canular « politiquement correct », celle de la domination dans certains métaux. Par un dumping sur sa propre production minière, Pékin s’assurerait un monopole de certains métaux poinçonnés introuvables — lanthanides, tungstène, etc. —, puis il aurait étouffé leurs marchés dans le but d’asphyxier des mines hors de Chine. Ensuite, il les ferait racheter par ses propres entreprises à vil prix.

Ce message à l’attrait du sensationnalisme alimenté par la caricature : le coupable, c’est la Chine. Mais quelles seraient ces mines qui auraient fermé suite à une réelle et démontrée volonté misanthropique chinoise ? Quelles en sont les preuves ?

La simple réalité de la nature des sous-sols

La réalité est différente. Si le premier producteur de cuivre mondial est le Chili, c’est non pas le résultat d’une stratégie géopolitique belliqueuse vis-à-vis de pays producteurs concurrents, mais parce que son sous-sol est riche de cuivre ; si l’Indonésie, les Philippines, la Russie, la Nouvelle-Calédonie et le Canada se partagent les premières places dans le nickel, c’est également pour une raison de minéralogie et non pas parce qu’ils seraient dans une guerre du nickel ; grâce à sa pétrographie, l’Afrique du Sud est première en platine et en rhodium, tandis que la Russie est première en palladium, et pourtant ces deux pays connaissent des relations imbelles ; si le marché du minerai de fer est dominé par le couple Australie-Brésil, c’est parce que la pédologie y est favorable, les deux pays ne guerroient pas ; si la Guinée fournit autant de bauxite, ce n’est pas parce qu’elle aurait éreinté d’autres producteurs, mais parce qu’elle a des ressources ; si la Chine est première dans les lanthanides ou le tungstène, ce n’est pas pour une raison géopolitique étrangement misanthropique, mais encore et toujours pour une raison géologique, elle en a de riches gisements et elle les exploite.

D’autres pays ont des gisements aussi importants ou plus petits, plus riches ou plus pauvres, mais ils ne les exploitent pas. L’exemple de la mine de tungstène de Salau en Ariège, en France, est emblématique, elle est sans doute de classe mondiale, mais elle reste inexplorable et inexploitée. Pourquoi ? Il suffit de regarder l’actualité du mois de juin 2020, cela n’est certainement pas à cause de Pékin !

En conclusion, ni la Chine ni aucun pays n’a économiquement guerroyé dans le but de faire baisser les prix des métaux qu’il produit et par suite de faire disparaître des mines d’autres pays. Cette première idée d’une domination chinoise misanthropique est une infox, mais nul ne le dit.

Le Grand Jeu des métaux : l’infox et la Chine, un coupable idéal Lire in la Tribune 29/07/2020

Les infox volent en escadrilles: après l’emprise de l’infox de « l’inobténium » sur la politique  dans l’épisode 4, une deuxième infox fut celles des avancées minières chinoises belliqueuses. Comment la Chine est-elle devenue le coupable idéal ?

Premier exemple, avec le cobalt de la République démocratique du Congo (RDC). La Chine importe une grande partie de la production de cobalt de ce pays, premier producteur mondial. Mais de quelle façon l’entreprise chinoise China Molybdenum est-elle devenue propriétaire de la plus grande mine de cobalt de RDC ?

Un simple vente pacifique entre deux sociétés

A-t-elle fait la guerre, a-t-elle demandé à son armée d’intervenir ? A-t-elle colonisé ou envahi ce territoire ? A-t-elle utilisé des réseaux souterrains pour noyauter toute la chaîne de décisions ? Rien de tout cela. China Molybdenum a tout simplement acheté en 2016 cette mine géante à une société minière… américaine basée à Phœnix en Arizona. Une vente pacifique a eu lieu entre deux sociétés qui avaient deux visions stratégiques de développement différente.

Mais, là encore, nul ne dit que cette information factuelle contredit l’infox d’une guerre du cobalt chinois : s’il y avait réellement une guerre du cobalt, pourquoi les États-Unis auraient-ils laissé partir le leader mondial dans des mains chinoises  au lieu de mains amies ? Il fallait donc attendre une initiative privée en 2020 pour démontrer l’infox : parallèlement à l’ouverture d’usine en Chine, Tesla contractait auprès de Glencore, le premier producteur occidental en RDC, suffisamment de cobalt pour sa production de voiture électrique.

La situation était identique alors que, en pleine guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis fin 2018, le premier producteur mondial de lithium, le chilien SQM, voyait 24% de ses actions détenues par le canadien Potash Corp être rachetés par le chinois Tianqi pour plus de 4 milliards de dollars. Tianqi devenait ainsi premier producteur mondial grâce à des investissements dans d’autres producteurs en Chine et en Australie.

Puisqu’il est reconnu que la stratégie minière canadienne est en déréliction depuis la disparition d’Inco, Falconbridge et Noranda, nous pourrions nous interroger pourquoi, s’il y avait eu une guerre du lithium, n’aurions-nous pas assisté à un combat entre une société occidentale et Tianqi pour SQM ? Pourquoi Washington ou l’Europe ne sont-ils pas intervenus ?

La “guerre des lanthanides”, une autre fausse vérité

De nouveau, les faits nous indiquent non pas une guerre du lithium, mais une vente pacifique de gré à gré entre deux sociétés, l’inverse est de discourir sur un canular tant qu’aucun État n’aura contré les avancées chinoises.

Autre fausse vérité: la guerre des lanthanides. La Chine produit environ 70% du minerai mondial, ce chiffre est en baisse, et elle les raffine dans ses usines d’affinage. Sur les 30% restant, seuls environ 5% sont raffinés en dehors de la Chine, le reste est exporté vers Pékin et traité dans des usines chinoises.

S’il y avait une guerre des terres rares, quel est ce modèle d’affrontement qui laisserait à l’un des belligérants 95% des matières mondiales ? En outre, que l’un des actionnaires minoritaires de la mine californienne de Mountain Pass soit de nationalité chinoise ne justifie pas que cette mine exporte sa production vers la Chine avec des droits de douane qui étaient portés à 25% au cours la guerre commerciale initiée par Washington.

À la suite de l’épisode Molycorp de 2011-2015, s’il y avait eu un tel conflit des lanthanides, les États-Unis étaient-ils incapables de financer un « effort de guerre » de moins d’un demi-milliard de dollars et 300 emplois, pour produire sur leur sol des aimants permanents à partir du minerai californien ou de celui des gisements situés au Texas, au Colorado, au Wyoming et en Alaska ?

Ce n’est que fin mai 2019 qu’une déclaration du ministère de la Défense étatsunien envisageait de libérer des fonds pour réduire une dépendance aux lanthanides d’origine chinoise, notamment pour les applications militaires, puis que le président Trump émette l’idée farfelue d’acheter le Groenland.

Quant à l’avenir européen, si cette guerre des lanthanides existait, comment la même société chinoise qui a investi dans Mountain Pass aurait-elle réussi, sans opposition européenne, à contracter le minerai d’une future mine du Groenland alors que l’usine française de La Rochelle, plus proche, pourrait le traiter ?

S’il y a eu une bataille dans ce domaine, elle a été pour le moins fugace. Il faut remonter à 2009 pour constater que l’Australie a protégé sa mine de Lynas contre une tentative de rachat par une société chinoise, mais à l’inverse, dans le même pays, le projet minier australien de Yangibana contractait le traitement de sa future production auprès de sociétés chinoises. Une fois encore, la Chine exerce ses stratégies d’influence pour s’approvisionner en lanthanides, tandis qu’aucun pays n’exerce de doctrine minière pour contrer ses accès aux mines ni ses avancées techniques dans le traitement du minerai.

Quand l’infox est démentie par la réalité industrielle

À la suite d’une domination dans certains métaux, l’infox subséquente est la verticalisation chinoise et son hégémonie sur un secteur d’activité. Elle est pourtant fondée sur la réalité industrielle pratiquée par tous, la filière. S’il s’en donne les moyens, celui qui maîtrise l’accès à la production du métal domine la filière industrielle en aval. Depuis trente ans, l’immense bond en avant chinois a nécessité d’importantes quantités de métaux, et la Chine, comme le firent d’autres puissances avant elle et depuis des siècles, a exploité son territoire. Puis elle a importé en prenant des positions industrielles et commerciales dans la métallurgie et les mines de pays étrangers, en prenant le risque de se heurter aux politiques économiques locales. Cette verticalisation, loin de se heurter aux nationalismes des ressources des pays producteurs, a exercé une influence sur leurs stratégies de puissance pour aboutir à des compromis.

C’est ainsi que l’Indonésie a voté en 2009 une loi interdisant à partir de 2014 l’exportation de ses ressources minières sans transformation, notamment vers la Chine. Cette dernière n’est pas entrée en guerre contre Djakarta.

Au contraire, elle a transformé la crise en une opportunité : six années plus tard, en 2020, se sont implantés en aval des mines indonésiennes des entreprises métallurgiques chinoises compétitives. Franchissant les frontières, les industriels chinois ont verticalisé outre-mer de l’extraction de minerais jusqu’à la commercialisation de produit manufacturé au sein d’un même groupe, voire à l’intérieur d’une chaîne d’approvisionnement internationale comme dans le cas de CATL, LG et Tesla en Indonésie. Grâce à l’alliance entre les doctrines minières indonésienne et chinoise, l’Indonésie est et sera désormais un grand acteur mondial du nickel pour l’acier inoxydable et les batteries.

La justesse de la stratégie de verticalisation

L’infox reproche cette stratégie de verticalisation à la Chine. Elle n’est pourtant pas nouvelle ! Arcelor-Mittal opère ainsi, de mines de fer ou de charbon jusqu’au marketing de l’acier ; le coréen Posco également en fidélisant le minerai de nickel de Nouvelle-Calédonie ; le finlandais Outokumpu en exploitant ses propres mines de chrome pour ses aciers ; le norvégien Norsk-Hydro opère de même avec sa bauxite pour son aluminium ; Michelin cultive ses plantations d’hévéas pour ses pneus ; Bonduelle achète des terres agricoles pour ses légumes ; le russe Rostec regroupe la métallurgie de l’armement et exploite ses propres mines de cuivre, d’or, de niobium et de lanthanides ; Nestlé fidélise des producteurs de café pour ses capsules ; l’électricien RWE consomme sa production de lignite dans ses centrales électriques, Engie fait de même avec son gaz naturel. De leur côté, des constructeurs automobiles chinois ou japonais ne font pas autre chose en contrôlant la filière, de la société minière exploratrice de lithium ou de cobalt jusqu’à la commercialisation de voitures électriques.

Maîtriser l’amont pour mieux jouer un rôle en aval, la réalité de la verticalisation contredit l’infox d’une hégémonie innovante de Pékin, notamment dans le véhicule électrique. Là encore, la Chine comble le vide laissé par l’absence de nos doctrines minières et peut abaisser le coût de production global du pays. D’ailleurs, les professionnels des métaux critiques et stratégiques observent depuis déjà longtemps que les initiatives chinoises dans ce domaine provoquent des « concurrences capitalistes » entre entreprises privées chinoises elles-mêmes, renvoyant la conspiration d’une stratégie chinoise misanthropique vers son origine, le canular.

Par la suite se succèdent diverses infox, telle celle opposée à l’économie circulaire qui cherche à nuire à la voiture électrique en affirmant que les « batteries rouges chinoises des voitures vertes électriques » ne sont pas recyclables. Au contraire, en Europe les circuits de collecte de ces batteries d’origine asiatique et équipant des véhicules européens sont quasiment tous au point, l’incitation est normative plutôt qu’économique ; le démembrement des modules est consommateur de main-d’œuvre et réclame un minimum d’automatisation ; ensuite, le raffinage des métaux étant largement connu, la filière gagnera en rentabilité au fur et à mesure que les volumes à recycler seront disponibles.

Arrêtons là ces interrogations d’infox. Bien que curieusement toutes désignent un seul coupable, la Chine, elles démontrent qu’elle n’a pas initié de guerre métallique, qu’elle a au contraire pacifiquement et commercialement gagné des accès à des mines à cause de la vacuité de nos propres doctrines minières ; mais la question qui s’impose est celle-ci : pourquoi ces infox, qui ont joué sur l’ignorance, l’émotion, et sont célébrées chez des néophytes désireux de recevoir une information ne confortant que leurs croyances établies, pourquoi se sont-elles regroupées en un mythe de « guerre des métaux » ? Quelles qu’en soient les causes, cette légende confortant la croyance d’un conflit s’est installée dans les cerveaux comme dans des nids d’oiseaux absents.

Le Grand Jeu des métaux: les causes de l’infox sur “la guerre des métaux” Lire in la Tribune 05/08/2020

Après la description de la place de la Chine dans l’infox de l’épisode 5, quelle qu’en soit les causes, la légende confortant la croyance d’un conflit dans les métaux s’est installée dans les cerveaux comme dans des nids d’oiseaux absents pour de mauvaises raisons, et nous en investiguons trois.

La première hypothèse est celle du mythe résolument antichinois: il s’inscrit comme une petite facette de l’immense guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine. Le danger est qu’il appelle une réplique belliqueuse. Fort heureusement, aucune guerre n’a été déclarée pour du lithium ou du cobalt, et il est salutaire qu’à l’égard des lanthanides les déclarations du président chinois de 2019 à propos de la mise en place d’un embargo de ses « importantes ressources stratégiques » à la suite des sanctions contre Huawei par les États-Unis, ne soient restées que des déclarations. Pékin n’a pas répliqué aux accusations par un embargo sur les terres rares.

Le danger des idéologies, c’est le risque de s’exclure du réel

Le mieux que nous pouvons espérer est un renversement de l’infox, pour que l’effet bénéfique de ce retour à la réalité endigue les sentiments antichinois et apaise une jeunesse emprisonnée par le sentiment que plus rien ne serait plus possible pour sauver la planète dans le domaine des ressources naturelles puisque la Chine serait un ennemi qui aurait déjà gagné.

Par suite, l’autre avantage du retour de la vérité serait une atténuation des sentiments antidémocratiques. En effet, les modèles de Green Deal européen ou du parti Démocrate étatsunien sont d’une telle ampleur qu’ils seraient irréalisables dans un climat de guerre réelle ou virtuelle pour des ressources naturelles. Or, le grand danger que rencontre les idéologies, et les promesses politiques qui les secondent telle que celle de la transition écologique, c’est de s’exclure de la vie réelle, de ne plus comprendre leurs impacts sur les populations et de perdre le lien avec le monde industriel qui produit ces ressources et avec celui qui les transforme. S’il devient impossible de tenir ces promesses parce qu’elles auraient entraîné des conflits construits sur un mythe tel que la « guerre des métaux », c’est la démocratie au sens large qui en souffre.

La transition énergétique a besoin de la « paix des métaux »

Les mots ont un sens, employer le mot « guerre » sans jamais avoir connu la guerre est déplorable ; nous n’avons pas besoin d’une infox sur une « guerre des métaux  qu’ils soient abondants, critiques, stratégiques, rares ou introuvables » pour sauver la planète, mais au contraire d’une vérité sur la « paix des métaux » pour négocier sans émotion. Seule une coopération inclusive de Pékin, de Moscou et d’autres producteurs de technologies et de ressources naturelles, à l’image de ce qu’auront réussi l’Indonésie et la Chine, répondra à la promesse d’une transition énergétique européenne qui ne confondra plus ses discours et ses réformes.

La deuxième hypothèse sur l’origine de l’infox de la « guerre des métaux » est contiguë à la première. C’est un mythe dangereux, car il a provoqué un effet anesthésiant. Chaque État restait immobile, car chacun croit que la doctrine minière de la Chine est combattue par un autre puisque l’infox indique qu’une guerre existerait entre la Chine et ce quelqu’un d’autre. Mais cette guerre n’est nulle part, cet autre n’existe pas ; aucune bataille, même économique, n’a eu spécifiquement lieu récemment pour le cuivre, le nickel, le fer, les platinoïdes, le platine, le rhénium, le béryllium, le cobalt, le gallium, le germanium, le graphite, l’indium, le niobium, le lithium, les lanthanides. Personne ne s’est opposé à son influence et à ses avancées minières. Cette guerre métallique est un leurre, elle n’a jamais eu lieu.

Abandon de la souveraineté dans nos doctrines minières

À cet argument sont souvent opposées des listes de métaux stratégiques ou critiques construites par des États. Elles ne répondent hélas pas à la question d’un combat ou d’une négociation. Elles ne sont ni des preuves d’une guerre ni des armes ni des offensives, mais au contraire une sorte de constat qui devrait rester secret, une reddition intellectuelle imbelle à la mesure d’une « guerre des métaux » virtuelle faute de combattant. Et pendant que chacun pense que quelqu’un d’autre combat la Chine, Pékin a progressé sans être contré. Personne ne s’est opposé à son influence et à ses avancées minières. Accuser la Chine d’une « guerre des métaux », c’était faciliter ses avancées, car en condamnant un symptôme, la maladie continuait de prospérer, tandis que la cause du mal restait cachée : l’abandon de la souveraineté dans nos Doctrines Minières.

Éliminer l’anesthésie d’une guerre virtuelle et virtuellement menée par d’autres, c’est notamment affirmer que la Chine a gagné des positions parce que d’autres pays consommateurs ont déserté les mines et l’industrie. Moins visionnaires, ils n’ont pas réévalué leurs souverainetés et leurs Solidarités Stratégiques métallurgiques et minières et ils ont abandonné leur stratégie d’influence.

Si rien n’est fait, sans de nouvelles doctrines minières, les prochains accusés, les prochaines victimes d’infox seront peut-être des sociétés minières, des entreprises œuvrant dans les batteries, la voiture électrique, le solaire, l’électronique, voire sous l’alibi de l’Investissement Socialement Responsable et de critères Environnement Sociaux et de Gouvernance des filières dans le lithium, le cobalt, le manganèse, le nickel, l’étain, le cuivre… Il faut donc bâtir ces doctrines minières tout en se protégeant en interrogeant les futures infox liées aux métaux.

Désir de «faire le buzz» ou « vanité de l’imposture »

D’autres théories sur l’origine d’une « guerre des métaux » pourraient être imaginées, mais citons en une troisième et dernière. Il n’est pas impossible que ces infox sur la « guerre des métaux introuvables » soient le fruit d’un désir propre à notre époque de communication : vouloir être dans l’actualité caquetante des effets de mode, acquérir une notoriété, « faire le buzz » dans le but ultime d’être reconnu. Nous résumerons cette dernière possibilité sous le qualificatif de la « vanité de l’imposture ».

De nos trois suppositions, elle est la plus simple et peut-être la plus probable, sans nier qu’elle fut chronologiquement précédée par la première puis la seconde, comme un segment d’une opération plus vaste, résolument antichinoise et, de nos jours, populaire outre-Atlantique.

Le Grand Jeu des métaux : stratégie d’influence, stock stratégique, recyclage, exploration et ESG Lire in la Tribune 12/08/2020

Après la cause de l’infox de l’épisode 6, comment élaborer une doctrine minière ?

Les filières industrielles profondément engagées dans la fabrication de produits de la transition énergétique (éolien, solaire, batterie, électronique, 5G…) recherchent par leurs stratégies d’influence des outils pour contrer des dépendances aux métaux. Plusieurs principes se présentent à elles.

L’une des premières possibilités repose sur les stocks stratégiques. Il est nécessaire de séparer les stocks utiles aux besoins régaliens des États de ceux des entreprises. Les réserves régaliennes doivent avoir des règles d’entrée et de sortie claires, leur composition doit évoluer dans le temps en fonction des fondamentaux des marchés ; bâtis pour le long terme, ils sont fragiles, car ils ont le devoir de naviguer à vue en anticipant un environnement de marché où règne la spéculation.

La Chine, les États-Unis, la Corée, la France, le Japon et d’autres pays disposent de stocks stratégiques de diverses matières énergétiques, métalliques ou agricoles. Ces stocks de l’État ne peuvent être mutualisés avec ceux du secteur privé.

Une telle gestion a été improvisée en France au cours des années 1990, et elle s’est soldée par la vente de platinoïdes au marché international à contretemps de la première vague de forte consommation de platine et palladium dans les catalyseurs automobiles par les constructeurs nationaux. A contrario, comme indiqué dans l’épisode 2, cette construction de stocks fonctionne mieux en Asie.

Côté entreprise, les stocks doivent être guidés par leurs conseils d’administration. Ces derniers doivent donc disposer des compétences nécessaires pour les manipuler. Une autre option est l’utilisation de sociétés de négoce pour gérer les stocks des filières industrielles, et rien n’illustre mieux cette partie que l’observation du rôle des sogo-shosha japonaises au profit de Japan Inc.

La mine urbaine (le recyclage) à contretemps des besoins immédiats

Le deuxième moyen de répondre à l’augmentation de la demande est situé en aval de la consommation. Les métaux font plusieurs fois le tour du monde entre le lieu d’extraction, d’affinage, d’industrialisation, de consommation, puis ils recommencent ce chemin après le recyclage. La boucle classique de la mine urbaine débute par une démarche du consommateur qui apporte aux collecteurs ses appareils usagés, elle se termine par la séparation des métaux entre eux. Toutefois cette filière est insuffisante pour répondre à la demande pour au moins trois raisons.

Pour autant que la matière à recycler soit disponible dans 10 ou 20 ans lorsque les produits actuels arriveront en fin de vie, le recyclage interviendra avec retard par rapport aux besoins immédiats. Deuxièmement, la principale caractéristique de certaines mines est d’être un gisement polymétallique : plusieurs métaux sont contenus dans le minerai, par exemple les 18 substances extraites de la mine de Norilsk Nickel en Russie ; il y a en général un métal majeur et des métaux mineurs. C’est parfois un exploit de la chimie moderne de les séparer.

De son côté, le recyclage exploite la mine urbaine ; c’est un gisement que l’on peut caractériser par un superlatif de méga-polymétallique à faible teneur. Le nombre de métaux mélangés les uns aux autres est supérieur à ce que l’on retrouve dans la nature et ces alliages n’ont absolument rien de naturel. La chimie arrivera d’autant moins à les séparer que, troisièmement, grâce à l’écoconception les quantités par unité à recycler sont de plus en plus faibles et c’est pourquoi les coûts de recyclage deviennent non économiques. Ce n’est pas la même chose de recycler le cerclage d’une roue de carrosse il y a trois cents ans pour en faire un nouveau cerclage d’une nouvelle roue de carrosse, que de recycler le plastique, les métaux et toutes autres matières d’un téléphone portable, d’une carte électronique, d’un pot catalytique, d’un disque dur d’ordinateur… toutefois, et contrairement aux infox, les métaux contenus dans les batteries sont connus et recyclable sans difficulté.

En outre, marque d’un progrès constant des idées, une nouvelle phase du recyclage consiste à ne plus traiter des alliages usagés, mais au contraire à brûler des étapes en réutilisant directement des déchets d’alliages propres en provenance de la filière grand public, plutôt que de raffiner chaque métal individuellement.

Révolutionner les critères environnementaux, sociétaux, de gouvernance

Le troisième moyen de répondre à la demande est l’augmentation de la production. Les États-Unis connaissent mieux la composition minérale de la surface de la lune que la présence dans leurs propres sous-sols de matières premières utiles aux véhicules électriques. Des gisements de lithium ou de cobalt existent aux États-Unis, tout comme pour les lanthanides. Bien que nous soyons également ignorants de la valeur de notre sous-sol en France, nous utiliserions facilement l’argument contradictoire de maîtriser la production du métal, pour dominer la filière industrielle en aval. C’est pourquoi sécuriser l’approvisionnement passera par augmenter l’exploration et la production nationale en révolutionnant nos critères environnementaux, sociétaux, et de gouvernance.

Cette nouvelle donne permettra d’une part d’évaluer l’impact écologique des projets miniers, puis d’autre part de n’exploiter que les métaux stratégiques et critiques utiles aux politiques régaliennes et aux industries du futur, et donc d’endiguer la production d’autres métaux. Cette nouvelle grille de lecture sera pertinente pour décider objectivement de l’intérêt ou non d’une mine de tungstène en Ariège, d’une mine de lithium dans le Massif central, d’une mine d’or en Guyane, ou d’une mine de lanthanides dans le Colorado, le Wyoming ou en Alaska.

Conclusion

Quand nous évoquons le Grand Jeu des matières premières, j’accepte que l’on dise que nous avons eu des guerres pour les hydrocarbures, car la lutte pour le pétrole et le gaz a parfois pris des tournures militaires, comme ce fut le cas lors des guerres du Golfe ou très récemment les jeux d’espionnage sur le sol européen pour le gaz russe ou le gaz américain.

Les États n’ont pas investi avec la même intensité dans un Grand Jeu pour le cuivre, le nickel, l’aluminium, le zinc, le lithium, le cobalt, l’indium, le platine, le palladium ou le rhodium. Au cours des 50 dernières années, ces métaux n’ont pas été des enjeux justifiant des invasions militaires. Par conséquent, parler de “guerres des métaux” est une mystification lorsque l’on parallélise avec les hydrocarbures et que l’on vérifie les faits de ces marchés.

Cependant, grâce à la révélation de la pandémie Covid-19, l’intégrité territoriale et la protection des populations ne peuvent plus être considérées comme les deux seules souverainetés à défendre. Nous reconnaissons enfin que les États doivent être souverains en matière d’économie, de finance, de cyber, d’alimentation, d’investissement, de biologie, de culture et aussi de ressources naturelles…

Pour comprendre ce monde de souverainetés dans les matières premières, nous avons évoqué par notre grille de lecture la notion de solidarités stratégiques : des trajectoires énergétiques, minérales, agricoles, culturelles, industrielles, économiques, numériques, environnementales, militaires à très long terme que les différents gouvernements qui se succèdent à la tête d’un pays ne touchent pas, car elles façonnent la relation particulière entre la population et sa conception de sa propre nation. Ceci explique pourquoi certains débats énergétiques, agricoles ou minéraux s’enflamment si rapidement.

Ces solidarités stratégiques  différencient les États les uns des autres parce qu’elles définissent leurs dépendances, leur indépendance et leurs interdépendances en matière de sécurité, de ressources naturelles, de développement économique, de santé, de modèles économiques, etc. Elles sont mises en œuvre à travers la doctrine des matières premières, c’est-à-dire : disposer du pétrole, du gaz naturel, du charbon, des métaux et des produits minéraux et agricoles pour les transformer par l’industrialisation. Par exemple :

– lorsque la France décide de diminuer sa production d’électricité nucléaire, elle affecte sa doctrine énergétique, cela devrait avoir des répercussions sur sa doctrine sur l’uranium, et cela aura des répercussions sur sa solidarité stratégique liée au prix de l’électricité pour la population et l’industrie.

– de même, en Allemagne, avec l’abandon progressif prévu du lignite et du charbon pour atteindre 80% de la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables d’ici à 2050. Ce double évènement modifiera les doctrines relatives aux Ressources Naturelles et initiera, d’une part, une dépendance vis-à-vis du stockage de l’électricité et des métaux concernés, et, d’autre part, de la future consommation de gaz, avec un conflit déjà présent entre la Russie et les États-Unis pour l’approvisionnement de l’Europe en gaz naturel. Des conséquences politiques avec des résurgences de nationalismes ou de populismes inspirés par l’économie sont également déjà là.

– de même, lorsque l’Europe s’engage dans un Green New Deal, ou bien lorsque Joe Biden prévoit de dépenser 2 trillions de dollars dans un plan d’infrastructures vertes, ils touchent aussi aux doctrines des pays de l’Union et de celle des États-Unis en matière de Ressources Naturelles, et donc au besoin de nouvelles ressources.

Pour être honnête, je dois encore comprendre comment le nouveau Green New Deal européen, qui est la nouvelle doctrine énergétique européenne, ou celui de Joe Biden, affecteront la souveraineté européenne et étatsunienne, comment elles nous affecteront puisque cette transformation fait basculer notre dépendance aux hydrocarbures vers une dépendance aux métaux. La question n’est pas de savoir si nous devons remplacer une matière première (le pétrole) par un métal (le cuivre) mais plutôt comment pouvons-nous assurer une transition énergétique valable sans une Doctrine minérale européenne ou étatsunienne consistant en des stratégies de force sur nos sous-sols ou des stratégies d’influence sur les sous-sols des pays riches de ressources ? Rien n’est plus favorable au populisme qu’une promesse démocratique non tenue. De plus, il me semble que le danger n’est pas une pénurie de ressources minérales, il y en aura pour nos besoins, mais d’autres questions plus importantes se posent quant au calendrier, au prix et aux normes Environnement-Social-Gouvernance (ESG).

En effet, outre l’évolution chinoise en cours, la géopolitique des ressources naturelles du XXIe siècle sera sous l’influence d’infox à propos de deux grands axes.

Premièrement, avec l’urbanisation de l’Inde, Dehli sera le grand consommateur de notre siècle. Deuxième axe propice à un nouveau Grand jeu des ressources naturelles du XXIe siècle, l’autoconsommation des pays producteurs. À l’image du consommateur saoudien dont il était prévu qu’il consommera plus de la moitié du pétrole produit par son pays, la formule « Quand le consommateur africain se réveillera, la Chine tremblera » exprime que les pays africains, andins ou d’Asie du Sud Est consommeront plus de leurs propres ressources naturelles. En conséquence, l’Europe doit concentrer sa réflexion dans deux directions : trouver une nouvelle profondeur géologique stratégique, et ce pivot géopolitique des ressources naturelles est très probablement celui d’une coopération avec la Russie. L’avenir nous dira si les récents réchauffements des relations entre Paris et Moscou en sont des prémices.

Deuxième point parallèle, le lien entre géopolitique des métaux et critères ESG entourant l’exploitation des ressources naturelles doit se révolutionner et éliminer ses scories liées à sa propre financiarisation. L’ESG doit donc standardiser ses critères non financiers, par exemple décider d’exploiter une mine en fonction de l’utilité réelle du métal produit, de la consommation d’eau pour l’extraire, ou bien des populations déplacées pour laisser la place aux mineurs, c’est-à-dire d’une certaine manière régler les bonnes pratiques techniques d’exploitation protectrices de l’environnement et de toutes les parties prenantes. La pertinence de ces normes est parfois impénétrable aux sciences de la métrologie lorsqu’il s’agit de mesurer des exigences en matière d’environnement, de droits de l’homme, de droits sociaux, des communautés, de territoire ou de gouvernance. L’ESG est en quelque sorte une littérature qui cherche sa place au milieu des chiffres de l’ingénieur. Toutefois, le pays qui maîtrise de sérieux atouts dans ce domaine des sciences sociales (philosophie, anthropologie, sociologie… etc.), n’a-t-il pas de sérieux avantages si ses entreprises sont imprégnées de cette culture nationale ? Une RSE française, avec ses critères ESG tricolores, sera différente d’une RSE américaine, japonaise, russe ou chinoise. Laquelle sera la meilleure ? L’autre intérêt de l’outil est sa capacité supérieure à décrypter les canulars, contre-vérités, calomnies, fausses nouvelles et autres infox. C’est un antidote, car il peut les analyser, les expliquer et les démentir. Face à une société équipée d’une bonne RSE, le mensonge devient une chose incertaine.

L’objectif de ce long article en sept parties était d’indiquer qu’un État sans recherche de souverainetés n’est pas équipé pour le long terme par des solidarités stratégiques, elles-mêmes mettant en œuvre des Doctrines énergétiques, minérales ou agricoles nationales. De la même manière qu’une armée sauvegarde des souverainetés et des solidarités stratégiques, elle ne peut pas opérer sans une doctrine et une stratégie, il nous sera difficile de nous mouvoir dans les ressources naturelles sans un plan. C’est pourquoi, si nous voulons entrer, la France ou l’Europe, dans le Grand Jeu des métaux pour nous assurer une souveraineté en matière de ces ressources naturelles, nous devons d’abord observer le terrain, éliminer les infox, puis développer nos propres doctrines énergétiques et minérales.